Economie bleue : quand la finance se maritimise…
L’eau salée est-elle soluble dans la finance ? L’économie maritime ou économie bleue (blue economy) émerge et devient incontournable dans les stratégies de développement durable des États, des organisations internationales et des entreprises. De quoi s‘agit-il ? L’économie bleue désigne les opportunités économiques issues des espaces maritimes comme les énergies renouvelables, les biotechnologies, la pêche, l’aquaculture, le tourisme responsable ou encore le transport maritime et la construction navale. Le monde de la finance, et la gestion d’actifs en particulier, ne pouvaient que s’intéresser à cette réalité. Plusieurs fonds d’investissement ont été récemment créés sur cette thématique nouvelle et prometteuse, permettant à des investisseurs et épargnants de se positionner sur cette « mer d’opportunités ». Comment les espaces marins peuvent être une source de développement économique responsable et comment investir sur cette thématique ?
La mer et les océans sont au cœur des enjeux environnementaux mais aussi économiques du 21ème siècle
L’économie des océans
L’économie verte (transition climatique, enjeux environnementaux…) ne doit pas faire oublier l’économie bleue. Depuis le début du XXIe siècle, les activités liées aux océans – tourisme, production d’énergie, aquaculture, trafic maritime, construction navale… – sont en pleine expansion. Le trafic maritime a quadruplé depuis le début des années 2000 tandis que l’exploitation des hydrocarbures en offshore profond a presque doublé (1) . Et selon les projections de la FAO(2) , la production de poissons devrait passer de 179 millions à 204 millions de tonnes entre 2018 et 2030. Les océans sont une considérable source d’emplois (environ 40 millions dans le monde en 2030(3) ).
D’après l’OCDE(4) , la contribution annuelle des océans au PIB mondial s’élèverait à 1 800 milliards de dollars en 2021 (environ 2% du PIB mondial), et pourrait dépasser les 3 000 milliards de dollars en 2030. Or les activités maritimes, qu’elles soient traditionnelles (pêche, activités portuaires, construction navale, exploitation des énergies fossiles) ou récentes (biotechnologies marines, énergies marines renouvelables…) influent sur le fragile équilibre des océans. Compte tenu de l’augmentation de la population, notamment près des côtes, et de de la mondialisation des échanges maritimes, l’économie maritime est en plein essor et affiche un rythme de croissance supérieur à celui de l’économie mondiale.
Selon une autre source (WWF), les océans représenteraient un PIB de 2 500 milliards de dollars(5) , ce qui ferait des mers la … 7e puissance économique mondiale !
Le concept d’économie bleue se propose de dépasser la simple contribution des mers et océans au PIB mondial, en combinant les approches environnementales et économiques. Selon la définition de la Banque mondiale, la Blue Economy consiste en « l’utilisation durable des ressources océaniques pour la croissance économique, l’amélioration des moyens de subsistance et des emplois tout en préservant la santé de l’écosystème océanique » (6) . De plus, cette économie bleue s’inscrit dans l’un des ODD (Objectifs de Développement Durables) promus par l’ONU : l’ODD 14 vise à « Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable ».
L’océan est aussi une source d’énergie, amenée à se développer de manière exponentielle au cours des prochaines décennies. Le potentiel de l’éolien en mer est ainsi largement supérieur à celui du terrestre. Et le potentiel énergétique de l’océan est loin de se limiter à l’éolien : nombre de technologies sont actuellement en cours de développement pour créer de l’électricité durable en utilisant les différentes dimensions de l’océan (vagues, marées, courants, salinité, etc.). Turbines hydrauliques, barrages, installations houlomotrices, usines marémotrices : autant de solutions prometteuses.
Le périmètre couvert par l’économie bleue est donc très large : décarbonation du transport, énergies marines, dépollution, régénération des ressources, séquestration du carbone, biotechnologies durables (algues, aquaculture, technologies de la protection/exploration marine), pêche durable, écotourisme…
La France, une puissance maritime
Les mers contribueraient à hauteur de 91 milliards d’euros(7) au PIB de la France, soit 3.6%. La France a de nombreux atouts pour faire prospérer son économie bleue :
- Une vaste ZEE, de près de 11 millions de km², la deuxième au monde.
- Ses 18 000 km de côtes (dont 5 850km en métropole le long de quatre grandes façades maritimes : Méditerranée, Atlantique, Manche et mer du Nord.)
- De grands acteurs industriels du monde de l’énergie, de la défense, des constructions navales (civiles et militaires) et du transport maritime, capables de faire passer à l’échelle industrielle des technologies innovantes ainsi que la maritimisation de certaines technologies issues de l’aéronautique (hydrogène, matériaux composites) ou de l’industrie.
- Un écosystème d’innovations technologiques sur toute la palette des activités maritimes et du numérique, portées par des centres de recherche et un tissu de start-ups et de PME créatives.
- Des acteurs financiers de taille mondiale, pionniers et engagés dans la transition écologique.
- Un régime fiscal attractif pour le financement des navires.
- Un système portuaire français en transition, qui anticipe la transformation de l’économie maritime de demain, et pour qui la transition verte peut être un facteur de rattrapage de compétitivité et de parts de marché.
- Une Marine Nationale forte, à vocation océanique et capable de protéger les ressources et les ZEE.
- Le succès des Assises de l’économie de la mer(8) , organisées chaque année par Ouest France et Le Marin, démontre l’importance de ce secteur pour notre pays.
La finance et la mer
L’OCDE dans son rapport sur « L’économie maritime en 2030 » (9) souligne que les océans deviennent la « nouvelle frontière économique ». L’ensemble du secteur financier s’est saisi de ce concept avec ses nombreux acteurs : banques commerciales, banques publiques, asset managers, fonds de capitalrisque, investisseurs institutionnels (fonds de pension, fonds souverains, assureurs, fondations…), fonds à impact...
Un indice boursier dédié à l’économie bleue
50 valeurs (dont l’Espagnol Iberdrola et le Français Véolia Environnement) figurent dans la composition de l’indice ECPI Global ESG Blue Economy Index(10) qui est constitué d’acteurs de « l’économie bleue ».
ECPI est un gestionnaire d’indices boursiers italien : il conçoit et gère des indices qui seront utilisés par des gérants de fonds soit comme benchmark de leur fonds (gestion active) soit comme indice qui sera répliqué intégralement (gestion passive ou indicielle).
L’idée de cet indice est d’inverser la tendance actuelle de l’exploitation désordonnée des ressources maritimes. Or, certaines activités traditionnelles liées aux ressources océaniques menacent depuis longtemps les grands équilibres naturels, à commencer par l’exploitation de plus en plus profonde du pétrole off-shore ou du gaz, la surpêche, le tourisme de masse ou le transport maritime intensif. De quoi détruire les écosystèmes et accentuer les phénomènes de pollution.
C’est la raison pour laquelle se retrouvent dans cet indice ECPI Global ESG Blue Economy Index des entreprises dédiées à l’écotourisme, à l’éolien offshore et à la biotechnologie maritime, mais aussi à la pêche et à l’aquaculture, à la lutte contre la pollution ou au transport maritime « propre ». A noter que cet indice est construit sur la base d’une approche ESG(11) sélective visant à exclure toutes les valeurs dotées d’une mauvaise notation ESG ainsi que toutes celles relevant des secteurs du tabac, du charbon et de l’extraction non conventionnelle de pétrole et de gaz.
Lancement de fonds d’investissements dédiés à l’économie bleue
CPR AM, filiale d’Amundi spécialiste des fonds d’investissement thématiques et à impact, a lancé en juin 2022, CPR Blue Economy, un fonds d’actions internationales qui vise à soutenir l’écosystème économique marin en investissant dans des entreprises cotées impliquées dans l’économie durable des océans (aquaculture, pêche, tourisme, infrastructures, éolien offshore, etc.) ou à la préservation de leurs ressources (gestion des déchets, séquestration carbone, etc.). Ce fonds dit « de conviction » est géré activement, avec une évaluation d’impact tout au long du process(de la définition de l’univers au suivi du portefeuille), combinée à une politique d’engagement ciblée avec des entreprises, et au soutien aux actions de la Fondation Maud Fontenoy…
De son côté, BNP Paribas Asset Management commercialise un fonds indiciel (ETF) sur le thème de l’économie bleue. Il réplique l’indice ECPI sus-évoqué et inclut ainsi des sociétés internationales sélectionnées pour leur engagement dans l’économie durable des océans.
Enfin Mirova, filiale de Natixis IM (Groupe BPCE) avait lancé en 2020 le Sustainable Ocean Fund, dédié au financement de projets et d’entreprises innovantes dans l’univers marin et côtier. Le fonds investit dans des « modèles économiques à fort impact, susceptibles de générer des rendements économiques durables dans les domaines de la pêche, de l’aquaculture, de l’économie circulaire et de la conservation des ressources marines ».
D’autres fond existent, lancés par des gestionnaires d’actifs européens et américains : le norvégien DNB (Future Waves Fund), l’espagnol March International (Mediterranean Fund), l’helvétique Credit Suisse (CS Rockefeller Ocean Engagement Fund), l’américain Newday (Ocean health ETF).
Les « Principes de Poséidon » pour le financement responsable du transport maritime
Les Principes de Poséidon constituent un nouveau cadre mondial pour le financement responsable des navires. Lancé en 2019 à l’initiative de 17 banques internationales (constituées en association sous le nom " Poseidon principles ") actives dans le financement du transport maritime, ce cadre vise à promouvoir une approche commune en matière de mesure et de suivi de l’impact carbone de leur activité. Cette démarche concertée concourt aux objectifs de l’Organisation maritime mondiale (OMI) de réduire de 50 % les émissions de gaz à effets de serre (GES) du transport maritime d’ici à 2050 par rapport à 2008. Quatre banques françaises à ce jour ont signé cet accord : BNP Paribas, BpiFrance, Crédit Agricole et Société générale
Concrètement, participer à cette initiative engage désormais les acteurs financiers signataires à mieux évaluer et suivre l’impact carbone des navires qu’elles financent, à réduire la part de ceux qui sont les plus polluants et enfin inciter les acteurs de la filière industrielle, chantiers navals et armateurs, à privilégier dès à présent les technologies les plus vertes pour leurs futurs navires.
Conclusion
Une fois de plus, l’adage selon lequel la mer est l’avenir de la terre se vérifie. L’économie bleue est une réalité désormais prise en compte par les grands noms de la finance et de l’investissement.
Anthony MELLOR
ScPo 1993 (section Economique et Financière)
Membre du bureau des Sciences Po de la Mer
Capitaine de Corvette – Réserve Citoyenne
Directeur de la Communication Financière Amundi
(1)The Trajectory of Human Expansion into the Ocean. One Earth, 2020 ;
(2)Food and Agriculture Organization of the United Nations. https://www.fao.org/state-of-fisheries-aquaculture
(3 )Source OCDE
(4)https://www.oecd.org/fr/publications/l-economie-de-la-mer-en-2030-9789264275928-fr.htm Montant 2010 de 1 900 milliards de dollars, actualisé
(5)Rapport Reviving the ocean economy, The case for action, WWF en association avec BCG, The University of Queensland (Australie), Global Change Institute.2015
(6)World Bank https://www.worldbank.org/en/news/infographic/2017/06/06/blue-economy
(7) Estimation Cluster maritime Français. Données 2019.
(8) https://economiedelamer.ouest-france.fr/programme-2022/
(9) Rapport OCDE « l’économie de la mer en 2030 » https://read.oecd-ilibrary.org/economics/l-economie-de-lamer-en2030_9789264275928-fr
(10)www.ecpigroup.com/en/factsheetsindice=GALPHBEN&d=ECPI Global ESG Blue Economy
(11) Critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance Illustration N° 4 : Composition de l'indice ECPI Global ESG B
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