L'Opéra au salon: de la page à la scène , littérature et opéras au Met (6-12 avril 2021)
De la page à la scène...
Dante, Shakespeare, Goethe, Schiller, Pouchkine, Hugo et Gogol sont les inspirateurs de la sélection de cette semaine, illustrant par quelques exemples les liens entre littérature et opéra.
Mardi 6 avril 2021
Gounod Faust
Avec Marina Poplavskaya (Marguerite), Jonas Kaufmann (Dr Faust) et René Pape ( Méphistophélès), sous la direction de Yannick Nézet-Séguin. Production de Des McAnuff. Représentation du 10 décembre 2011.
Ses nombreux airs célèbres (airs des bijoux, O nuit d'amour, Le veau d'or, Vous qui faites l'endormie,...), ses rythmes infectieux, son thème éternel d'aspiration aux passions de la jeunesse expliquent en grande partie le triomphe séculaire de cet opéra inspiré de Goethe.
Cette représentation par le producteur de Jesus Christ Superstar et deux fois vainqueurs des Tony Awards, riche en idées (transposition durant la 2ème guerre mondiale où Faust est un chercheur dans un laboratoire atomique, utilisation de vidéos et d'images en noir et blanc) se montre parfois un peu trop clinique même si globalement efficace. Les voix sont, elles, superbes (Kaufmann et Pape en particulier) comme l'est la direction musicale de Nézet-Séguin. Poplavskaya chante et joue merveilleusement et laisse une impression durable dans le rôle d'une Marguerite timide et troublée.
Un classique renouvelé aux voix admirables.
Mercredi 7 avril 2021
Verdi Rigoletto
Avec Christiane Eda-Pierre (Gilda) , Isola Jones (Maddalena), Luciano Pavarotti (duc de Mantoue), Louis Quilico (Rigoletto) et Ara Berberian (Sparafucile), sous la direction de James Levine. Production de John Dexter. Représentation du 15 décembre 1981.
Transposition, adaptée pour cause de censure, de la tragédie Le Roi s'amuse de Hugo, Rigoletto est, depuis sa création en 1851, un des opéras les plus populaires du répertoire (assimilé à La donna e mobile) et qui a attiré les plus grands chanteurs.
Le rendu musical des personnages (le bossu), une véritable intrigue, un personnage principal dense (le plus beau rôle de baryton), des airs mémorables ou superbes (duo père -fille du IIème acte, quatuor du dernier acte,...), un parfait équilibre entre éléments lyriques et dramatiques, un extraordinaire sens des proportions, une richesse d'idées bien arrangées font que, au-delà du succès populaire, il est aussi un opéra pour musicien.
Complice des escapades amoureuses de son maître, le duc de Mantoue, Rigoletto, son bouffon bossu, s'est attiré la malédiction d'un noble et l'inimitié d'une grande partie de la cour qui veut se venger. Sa fille Gilda, qu'il protège jalousement, en fera les frais et tombera aux mains du duc dont Rigoletto cherchera à se venger ...
Cette diffusion permet de voir et d'entendre la regrettée soprano martiniquaise Christiane Eda-Pierre (décédée en septembre 2020) dont les enregistrements DVD sont si rares, Pavarotti (suivi d'innombrables applaudissements), Quilico en belle forme vocale et un fougueux jeune James Levine à la baguette. Cette version, d'une époque où les chanteurs ne jouaient ni ne bougeaient, vaut vraiment pour la beauté pure des voix.
Jeudi 8 avril 2021
Tchaikovsky Eugene Onegin
Avec Anna Netrebko (Tatiana), Elena Maximova (Olga), Alexey Dolgov (Lenski), Peter Mattei (Eugene Onéguine) et Štefan Kocán (Prince Gremin), sous la direction de Robin Ticciati. Production de Deborah Warner. Représentation du 22 avril 2017.
Un jeune dandy qui rejette l'amour d'une jeune fille, tue son meilleur ami et vivra pour regretter à jamais l'amour de celle qu'il avait rejeter et qui, mariée, le rejette maintenant.
Sur cette trame, issue du poème éponyme de Pouchkine, Tchaïkovsky a écrit un des plus beaux opéras du répertoire avec des arias devenus des classiques (lettre de Tatiana, air de Lenski,...), une musique dramatiquement opulente dans une structure en quasi- leitmotivs inspirée de Wagner qui traverse l'opéra.
Même si la mise en scène hache un peu la continuité et l'ambiance créée en coupant après chaque scène, les qualités de la musique et de l'opéra, des chanteurs éblouissants et une belle direction d'orchestre font de cette représentation une très belle soirée / matinée.
Vendredi 9 avril 2021
Zandonai Francesca da Rimini
Avec Renata Scotto (Francesca), Plácido Domingo (Paolo) et Cornell MacNeil (Giovanni), sous la direction de James Levine. Production de Piero Faggioni. Représentation du 7 avril 1984.
D’après la pièce de Gabriele d’Annunzio fondée sur les amours tragiques immortalisées par Dante (chant V de l'enfer de la Divine Comédie), cet opéra, créé en 1914, fut, à juste titre, le sommet de la carrière de Zandonai, un élève de Mascagni, et un très grand succès.
Sa musique, riche et raffinée, presque symphonique s'inspire de Richard Strauss (Chevalier à la rose), de Wagner (Tristan)et de Debussy (Pelléas) décrivant bien les atmosphères. Elle propose nombre de pages somptueuses, notamment un IIIème acte remarquable et de beaux duos.
Francesca tombe amoureuse du beau Paolo qu'elle imagine être son frère Gianciotto, à qui sa famille l'a destinée. Le coup de foudre est réciproque ...
"Une production spectaculaire, plastiquement très belle, (...), fidèle à l'esprit d'un Moyen Age dantesque revu et corrigé par la fin-de-siècle. Elle fait écho à la luxuriance raffinée de la musique de Zandonai, magnifiée par l'orchestre de Levine. "La" Scotto et Domingo, brûlant de leur amour interdit, seront broyés par le Malatesta sauvage de McNeil". (Diapason, 2018 sélection des 100 plus beaux DVD d'opéra).
Samedi 10 avril 2021
Chostakovitch The Nose (Nos, le Nez)
Avec Andrey Popov (le Gendarme), Alexander Lewis (le Nez) et Paulo Szot (Kovaliov), sous la direction de Pavel Smelkov. Production de William Kentridge. Représentation du 26 octobre 2013.
Partant d'une des plus célèbres Nouvelles pétersbourgeoises (1836) de Gogol, ce premier opéra, comique, d'un Chostakovitch de 21 ans, inspiré par le directeur de théâtre Meyerhold, la technique cinématographique d'Eisenstein et la musique de Stravinsky et Berg se veut résolument expérimental tant dans l'écriture musicale (largement atonale, collage de styles, juxtapositions de tons, citations, musique "réaliste", 78 rôles chantés, interlude pour percussions seules, …) que dans sa structure théâtrale, absurde.
Après une séance chez son barbier, un fonctionnaire découvre à son réveil que son nez a disparu … S'ensuit une longue quête à rebondissement qui reflète, sous forme de satire , la société russe de son temps (création en 1930, sous Staline !) et ses multiples travers.
La mise en scène, riche, colorée, utilisant collages, projections et dessins, transpose particulièrement bien cet opéra, son ambition comique et expérimentale, son impertinence et son rythme endiablé. Les voix hautes (ténors et sopranos), reflets caricaturaux du pouvoir, ont des parties particulièrement complexes et sont remarquables, notamment Szot et Popov …
Une occasion exceptionnelle de voir un des rares opéras comico-satiriques du XXè siècle dans un tourbillon sans relâche et une mise en scène grandiose.
Dimanche 11 avril 2021
Gounod Roméo et Juliette
Avec Anna Netrebko (Juliette), Roberto Alagna (Romeo), Nathan Gunn (Mercutio) et Robert Lloyd (frère Laurent), sous la direction de Plácido Domingo. Production de Guy Joosten. Représentation du 15 décembre 2007.
Après Goethe (Faust), Gounod et ses librettistes se sont tournés vers Shakespeare reproduit fidèlement pour en faire le meilleur opéra de cette tragédie. Connu pour ses quatre duos d'amour, qu'une musique en évolution formelle accompagne et fait progresser tout au long de l'œuvre, Romeo et Juliette contient aussi d'autres belles arias pour ténor (Ah! Lève-toi soleil!), baryton (Mab, la reine des mensonges ) ou soprano (Amour, ranime mon courage).
Roméo Montaigu est amoureux de Juliette Montaigu mais la rivalité mortelle de leurs familles leur interdit tout contact...
Netrebko et Alagna, en pleine possession de leurs moyens, forment un couple d'amoureux charismatiques plus que crédibles et, bien soutenus par le reste de la distribution, emportent cette production aux décors cosmiques.
Un grand opéra superbement servi.
Lundi 12 avril 2021
Verdi Luisa Miller
Avec Sonya Yoncheva Luisa Miller), Olesya Petrova (duchesse Federica), Piotr Beczała (Rodolfo), Plácido Domingo (Miller), Alexander Vinogradov (Comte Walter) et Dmitry Belosselskiy (Wurm), sous la direction de Bertrand de Billy. Production d’Elijah Moshinsky. Représentation du 14 avril 2018.
Créé en 1849, d'après la pièce Intrigue et Amour de Schiller, ce "mélodrame tragique" de Verdi, son 15ème opéra, fait partie des quatre écrits de la mi-carrière régulièrement donnés sur les scènes internationales.
Introduit par la plus belle ouverture verdienne par sa musicalité et son économie de moyens, cet opéra, encore influencé par le bel canto rossinien mais dont la dramaturgie s'approfondit (3ème acte), est un opéra de chanteurs qui requiert de superbes voix et une belle évolution pour le rôle principal (de l'ingénue à la douleur de l'âge adulte).
Luisa, la fille d'un vieux soldat, aime Rodolfo dont elle ignore qu'il est le fils du comte Walter. Elle est aimée par Wurm, favori du comte qui, lui, ambitionne de marier son fils à une duchesse pour asseoir son assise. Il est prêt pour cela à toutes les manœuvres ...
La belle production classique du Met bénéficie d'une belle direction d'orchestre et de superbes chanteurs verdiens: le rôle titre va comme un gant à Yoncheva, Beczala offre une performance de classe (y compris dans le superbe mais redouté Quando le sera al placido du 2ème acte) , les deux basses sont remarquables dans leur lâcheté (duo de l'acte II ) et Domingo convainc par son sens de la ligne, sa musicalité et ses qualités d'acteur (duo final notamment).
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Les spectacles sont accessibles en cliquant, le jour indiqué, sur le titre de l’œuvre, à l'heure de votre choix.
Belles soirées (ou matinées) lyriques
Jean-François Bourdeaux
Président du Club Opéra
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