L'Opéra au salon : Hommage aux compositeurs américains au Met (29 juin au 5 juillet 2021)
A quelques jours de l’Independence Day, le 4 juillet, la fête nationale américaine, le Met rend hommage à quelques compositeurs nationaux dont les œuvres ont été produites sur sa scène.
Cela donne l'occasion de voir des classiques modernes de compositeurs phares (John Adams et Philip Glass), le seul opéra de John Corigliano, une œuvre récente d’un jeune compositeur (Marnie de Muhly) et une vieille de près d’un siècle (Mahagonny), dans des versions souvent de référence.
Pour beaucoup de belles découvertes
Mardi 29 juin
Nico Muhly Marnie
Avec Isabel Leonard (Marnie), Iestyn Davies (Terry Rutland), Christopher Maltman (Mark Rutland), Janis Kelly (Mme Rutland) et Denyce Graves (mère de Marnie). Sous la direction de Roberto Spano. Production de Michael Mayer. Représentation du 10 Novembre 2018. Création à Londres en novembre 2017. Durée : 2h22.
Employée modèle et très belle, Marnie est aussi menteuse et kleptomane et passe ainsi d’entreprise en entreprise jusqu’à ce qu’elle soit forcée d’épouser l’homme qui l’a démasquée …
Représentant de la jeune génération de compositeurs américains, influencé notamment par Philip Glass et John Adams, Nico Muhly, né le 26 août 1981, est un adepte de la musique minimaliste qu’il sait habilement utiliser pour créer des ambiances adaptées aux situations plus que pour exprimer les émotions de personnages pour lesquels il ressort davantage à des mini-monologues.
Reflétant fidèlement le roman de Winston Graham (Pas de printemps pour Marnie en vf) plus que le film qu’en a tiré Alfred Hitchcock, le livret présente une intrigue très claire et efficace, mélange de situations dramatiques et de caricatures de la bonne société des années 50.
La mise en scène permet de bien suivre l’histoire, les tableaux s’enchaînant facilement et chacune des incarnations de l’héroïne étant vêtue de façon identique dans des couleurs différentes (cf photo). Les images et les costumes sont esthétiquement réussis et efficaces ainsi que la vidéo qui soutient l’action à des moments importants. Isabel Leonard réussit une performance remarquable tant par son jeu d’actrice que par sa voix élégante sur tous les registres et qui se marie idéalement au personnage de Marnie. Les autres chanteurs sont eux aussi excellents mêlant également action, psychologie et qualité du chant. Le chœur, qui joue un rôle important et difficile, est à l’unisson.
Un thriller lyrique beau à voir
Mercredi 30 juin
John Adams Doctor Atomic
Avec Sasha Cooke (Kitty Oppenheimer), Thomas Glenn (Robert Wilson), Gerald Finley (Robert Oppenheimer) et Richard Paul Fink (Edward Teller). Sous la direction de Alan Gilbert. Production de Penny Woolcock. Représentation du 8 Novembre 2008. Création à San Francisco en octobre 2005. Durée : 2h45.
Dans les derniers mois de la deuxième guerre mondiale, une équipe de scientifiques, rattachée au projet Manhattan, travaille, au Nouveau Mexique, sur la réalisation d’une bombe atomique sous la direction de Robert Oppenheimer, un brillant physicien et artiste cultivé. Obsédé par la réalisation de ce projet, celui-ci y consacre toute son énergie et néglige tout ce qui n’est pas directement lié à cette mission …
Troisième opéra à visée historique de John Adams, après Nixon in China (1987) et The Death of Klinghoffer (1991), Dr Atomic est, comme ceux-ci, et au-delà de la dramaturgie globale, surtout une série d’études de personnages dont il explore les pensées et les doutes en mettant l’accent sur les mots et les émotions. Il bénéficie pour ce faire d’un livret remarquablement instruit, documenté et varié de Peter Sellars (textes déclassifiés du gouvernement US, mémoires de participants du Manhattan Project, multiples sources documentaires, poèmes de Baudelaire et de John Donne, Bhagavad Gita, …) qui assure la crédibilité historique de l’œuvre et une dimension onirique au détriment peut-être de l’action dramatique. La partition est riche et complexe, très difficile rythmiquement, avec des pages merveilleuses.
Les chanteurs sont excellents et en particulier le grand baryton anglais Gerald Finley (cf photo), captivant dans le rôle principal. La production, réaliste et pratique, est généralement efficace même si elle n’arrive pas tout à fait à gommer les quelques longueurs de l’œuvre.
Jeudi 1er juillet
John Corigliano The Ghosts of Versailles (Les Fantômes de Versailles)
Avec Teresa Stratas (Marie Antoinette), Håkan Hagegård (Beaumarchais), Gino Quilico (Figaro), Graham Clark (Bégearss), Marilyn Horne (Samira) et Renée Fleming (Rosina). Sous la direction de James Levine. Production de Sir Colin Graham. Représentation du 10 Janvier 1992. Création à NY en décembre 1991. Durée : 3h
Au purgatoire, les aristocrates victimes de la Révolution s’ennuient et attendent le nouvel ouvrage de Beaumarchais. Avec l’aide de Figaro, Almaviva et d’autres de ses personnages, ce dernier réécrit l’histoire pour sauver la reine qu’il aime …
Première création au Met en 24 ans, ce Grand Opera buffa, commandité pour le centenaire du Met et seul opéra d’un compositeur primé à de nombreuses reprises pour ses œuvres, connut un incontestable triomphe public et fit admettre l’idée qu’un opéra contemporain pouvait être populaire. La richesse d’une intrigue à multiples rebondissements, un texte riche de bons mots, une foule de personnages dont certains connus et mythiques (Marie-Antoinette, Figaro, Almaviva, Rosina, la comtesse, …), et des situations drolatiques y ont certainement contribué autant qu’une partition qui mêle musique moderne pour les fantômes avec l’aide d’instruments non classiques, et pastiche pour l’opéra de Beaumarchais (Rossini, Mozart) et contient plusieurs mélodies mémorables.
Cette captation est celle de la production initiale avec les chanteurs de tout premier plan pour lesquels l'opéra a été créée (Stratas cf photo, Horne, Fleming notamment) et une débauche de personnages. La mise en scène reflète bien le caractère bouffe et foisonnant de l’œuvre et son mélange de styles musicaux et dramatiques (comique et tragique).
Une belle occasion de découvrir l’ancêtre des opéras contemporains américains dans sa version de création
Vendredi 2 juillet
Philip Glass Satyagraha
Avec Richard Croft (Gandhi), Rachelle Durkin (Miss Schlesen), Kim Josephson (Mr Kallenbach) et Alfred Walker (Parsi Rustomji), sous la direction de Dante Anzolini. Création à Rotterdam en septembre 1980. Production de Phelim McDermott. Représentation du 19 novembre 2011.Durée : 3h04
Cet opéra de 1980 de Philip Glass (né en janvier 1937), un des compositeurs les plus influents de la fin du XXè siècle et représentant de l'école répétitive de la musique minimaliste, s'inscrit dans sa trilogie des "hommes qui ont changé le monde dans lequel ils vivent par le pouvoir de leurs idées".
Satyagraha ("Force de la Vérité" en sanscrit) est inspiré par Gandhi et son principe de contestation et de résistance à l'oppression par la non-violence et la désobéissance civile. Ce concept de Vérité, fort et holistique, inclue les aspects socio-économiques, politiques et religieux et la nécessité du respect des autres, quels que soient leur race, ethnicité, genre ou religion.
Assemblage de textes en sanscrit de la Bhagavad Gita, un des écrits fondamentaux de l'hindouisme, cet "opéra" juxtapose vignettes historiques, philosophiques et politiques en une série de méditations comme une célébration rituelle (comme le Messie de Haendel) en rebalançant les différentes composantes habituelles du genre : texte, mouvement, image, musique. Partant de l'idée que la vie du Mahatma était bien connue, Glass a conçu son œuvre comme un album de photos que l'on feuillette sans ordre plutôt que comme une séquence linéaire.
Une production extrêmement créative (acrobates, marionnettes) et visuellement superbe et des chanteurs engagés (Croft impressionnant) soutiennent une musique et des paroles hypnotiques qui ont fait de ce spectacle un des grands succès du Met, notamment auprès des jeunes.
Samedi 3 juillet
John Adams Nixon in China
Avec Kathleen Kim (Jiang Qing, alias Mme Mao ou « l’impératrice rouge »), Janis Kelly (Pat Nixon), Robert Brubaker (Mao Tse Toung), Russell Braun (Chou Enlai), James Maddalena (Richard Nixon) et Richard Paul Fink (Henry Kissinger). Sous la direction de John Adams. Production de Peter Sellars. Représentation du 12 Février 2011. Création à Houston en octobre 1987. Durée : 2h56
Après 25 années d’hostilités entre les Etats-Unis et la Chine et en pleine guerre au Vietnam, le président Nixon et son épouse atterrisse à Pékin pour une visite d’Etat historique …
Ce premier opéra de John Adams (né le 15 février 1947), inspiré par le metteur en scène Peter Sellars, à l’origine également de deux autres de ses opéras, connut un véritable triomphe à sa création, suivie deux ans après d’un Grammy Award récompensant « la meilleure composition contemporaine ». Il permettra également au compositeur d’être reconnu comme une des stars de la génération « post moderne ». Très documenté, le livret, poétique, permet d’aborder les différents aspects du voyage (tête à tête avec Mao, banquet officiel, visite d’école et d’usine, Opéra de Pékin, …) mais aussi le passé des protagonistes dans un séquençage efficace des différentes scènes mêlant manifestations officielles et moments plus intimes. La musique, évocatrice plus que narratrice, inspirée de Philip Glass et par endroits teintée de jazz et d’éclats d’arpèges, rythme par ses formules d’ostinato les différents temps du récit tandis que les voix sont parfaitement typées, en accord avec les rôles offrant plusieurs très beaux airs (notamment I come from a poor family de Pat Nixon, I can keep still de Jiang Quing et la scène finale de Chou) et ensembles.
Dans cette version, le compositeur conduit lui-même sa partition et lui imprime un air de particulière urgence dans un rendu sans faille. Utilisant à fond l’immense scène du Met, la mise en scène, réaliste et qui ne manque pas d’humour, ajoute une profusion d’actions et un étonnant ballet révolutionnaire. La caméra, efficace, permet de capter en gros plan les têtes et expressions des personnages lors des moments décisifs (Mmes Mao et Nixon au moment du ballet par exemple). Les chanteurs acteurs sont tous convaincants.
Dimanche 4 juillet
Kurt Weill Rise and Fall of the City of Mahagonny (Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny)
Avec Teresa Stratas (Jenny Hill), Astrid Varnay (Leokadja Begbick), Richard Cassilly (Jimmy Mahoney) et Cornell MacNeil (Trinity Moses). Sous la direction de James Levine. Représentation du 27 Novembre 1979. Création à Leipzig en mars 1930. Durée : 2h27
Fuyant la police, une prostituée et deux gangsters se retrouvent à court d’essence en plein désert du Nevada, décident de rester sur place et créent une ville pour attirer les chercheurs d’or et tous ceux qui veulent se divertir. Leur concept de « cité des plaisirs » prend facilement et la ville croît rapidement …
S’inspirant du Mahagonny-Songspiel issu de la mise en musique par Kurt Weill de cinq poèmes de Bertolt Brecht, l’opéra, souvent présenté, après la crise dans l’Allemagne des années 20, comme une anti-mythologie des Etats-Unis et une métaphore du capitalisme, sera dès sa création un des plus grands objets de scandale de la musique du XXè siècle. Il fera l’objet d’une interdiction dans l’Allemagne nazie que Weill quittera en mars 1933 pour rejoindre Paris puis les Etats-Unis où il poursuivra sa carrière musicale. Considérée comme perdue, la partition sera retrouvée dans les années 50’ et plusieurs représentations en Allemagne et dans le monde s'ensuivront avant que le Met ne l’inscrive dans son répertoire en 1979 dans la version proposée ici. Les intentions de l’œuvre sont souvent discutées, les deux artistes prenant même des positions opposées, Weill prônant le primat de l’opéra et le droit de proposer une illusion volontairement partagée, Brecht ayant une approche plus combattante fondée sur le texte. La musique, polymorphe, s’inscrit elle en partie dans un héritage classique (allusions à Mozart, Wagner et Richard Strauss) et contemporain (Stravinsky) à côté d’une vision plus élaborée des songs (Alabama song) et d’influences jazzistiques et de danses contemporaines.
Cette captation, en version anglaise, est celle de la création au Met la même année. La production, expressionniste et brechtienne, est composée d’un ensemble d’unités (une vingtaine de scènes) et, bien que stylisée, reste naturaliste avec des costumes qui évoquent également la période des années 20’. Choisissant la vision opératique, elle bénéficie d’un remarquable plateau avec quelques-unes des grandes voix lyriques de l’époque (la grande Teresa Stratas dont c’est un des rôles phares, le heldentenor Richard Casilly, la légendaire wagnérienne Astrid Varnay dans sa dernière apparition au Met, …) plutôt qu’un mix avec des chanteurs de cabaret ou de broadway. La direction d’orchestre est bien balancée entre les différents styles musicaux dont elle met finement en avant les détails et les richesses.
Oldie but goodie !
Lundi 5 juillet
Philip Glass Akhnaten (Akhénaton)
Avec Dísella Lárusdóttir (reine Tiyi), J’Nai Bridges (Néfertiti), Anthony Roth Costanzo (Akhénaton), Aaron Blake (Grand Prêtre d’Amon), Will Liverman (Général Horemhab), Richard Bernstein (Aye) et Zachary James (Amenhotep III), sous la direction de Karen Kamensek. Production de Phelim McDermott. Représentation du 23 novembre 2019. Création à Stuttgart en mars 1984. Durée : 2h52
Après les funérailles d’Amenhotep III (vers – 1355), son fils lui succède. Il épouse Néfertiti, se renomme quelques années plus tard Akhénaton (« utile à Aton ») et progressivement impose une religion monothéiste avec le culte exclusif du dieu solaire Aton et la destruction des images de culte des anciennes divinités. Il fait construire la cité d’Akhetaton (« horizon d’Aton», l’actuelle Amarna) où il installera sa famille et son administration …
Cet opéra de 1984 de Philip Glass, un des compositeurs les plus influents de la fin du XXè siècle et représentant de l'école répétitive de la musique minimaliste, s'inscrit dans sa trilogie des "hommes qui ont changé le monde dans lequel ils vivent par le pouvoir de leurs idées et non par la force des armes" dont il constitue l’ultime opus après Einstein et Gandhi (Satyagraha). Plusieurs langues y sont utilisées : égyptien, akkadien, hébreux et anglais au service d’une musique tonale qui sait s’enrichir de superbes chromatismes (impressionnant Hymne au Soleil).
La production, éclatante et enrichie par de superbes chorégraphies de jongleurs et d’extraordinaires costumes et éclairages, s'accorde magistralement à la musique, elle aussi hypnotique. Elle est servie par d’excellents chanteurs (le contre-ténor jouant Akhénaton est prodigieux). Le public new yorkais en a fait un des grands succès du Met tandis que la prise de vue de la captation offre des gros plans splendides (cf photo en bas à gauche).
Un somptueux et fascinant spectacle musical et visuel.
Les spectacles sont normalement accessibles en cliquant, le jour indiqué, sur le titre de l’œuvre, à l'heure de votre choix.
Bonne semaine lyrique
Jean-François Bourdeaux
Président du Club Opéra
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