Nous nous retrouvons samedi 5 octobre au Palais Garnier à 19h30 pour voir et entendre cette œuvre burlesque, représentative de l’opéra bouffe, ce genre léger inventé par Offenbach, reprise à l’opéra de Paris après plus de 30 ans d’absence, dans une nouvelle mise en scène de Barrie Kosky.
Jacques Offenbach (1819-1880), né à Cologne dans une modeste famille juive, fait montre très tôt de dons pour le violoncelle. Son père, cantor et premier formateur, décide dès lors de l’emmener à 14 ans à Paris, l capitale culturelle de l’Europe. Il y est admis au Conservatoire, par exception à la règle qui impose d’être français : il sera naturalisé en 1860 par Napoléon III. Il part au bout d’un an et s’engage comme violoncelliste au futur Opéra-Comique, ce qui lui permet de se familiariser avec ce répertoire. Se produisant dans les salons parisiens, il y sera vite surnommé le « Liszt du violoncelle » ; il devient chef d’orchestre à la Comédie Française et, se voyant refuser l’accès de l’Opéra-Comique pour ses œuvres, finit par créer et diriger le théâtre des Bouffes-Parisiens où il reçoit, monte et joue une cinquantaine d’opérettes.
Travailleur acharné, il compose lui-même 90 opérettes, opéras-bouffes ou « bouffonneries musicales ». Le « petit Mozart des Champs-Elysées » (Rossini) a incarné comme nul autre l’esprit léger et la joie de vivre du Second Empire, sachant répondre à un public avide de plaisirs et de dérision. Il est même devenu le père international du « lyrique léger » au XIXè siècle, initiateur des opérettes viennoises et anglaises : les iconiques Pirates de Penzance de Gilbert et Sullivan sont ainsi les descendants directs des Brigands.
Influencé par Rossini et Mozart, il invente l’opéra-bouffe français, sous-tendu par une composition musicale des plus abouties et digne des grands maîtres de l’opéra. Les Brigands est typique de l’opéra-bouffe offenbachien, souvent satirique, travestissement et parodie de l’opéra-comique, à l’humour débridé et corrosif, allant jusqu’au N’importe Quoi. Les institutions du Second Empire et l’influence espagnole sont souvent brocardés. Ici, avec le milieu de la finance, ses affaires et ses liens avec le pouvoir. Le tout avec une musique pleine d’esprit, « diaboliquement entraînante, dont le rythme vous saisit dès les premières notes » (R. Pourvoyeur) qui emprunte au folklore espagnol et à la musique italienne (saltarelle) et évoque le mouvement de son temps, ses trains express et ses bateaux à hélices.
Ludovic Halévy et Henri Meilhac, avec qui Offenbach créera le genre de l’opéra-bouffe, et Bizet sa Carmen, en sont les librettistes, comme ils l’ont été de cinq autres de ses chefs d’œuvre. Ils s’inspirent ici non des si célèbres Brigands de Schiller, inspirateurs de moult compositeurs au XIXè siècle, dont Verdi, mais utilisent leur imagination et parodient deux des grands compositeurs d’opéra-comique de l’époque, Auber (Fra Diavolo, Les Diamants de la couronne, Marco Spada ...) et Hérold (Zampa). Ils puisent également dans différentes traditions théâtrales (Foires du XVIIIè notamment) pour élaborer un livret drôle, tendre et étourdissant, entre références, caricatures et parodies sur la thématique romantique du brigand. C’est malicieux, truffé de jeux de mots dans les dialogues et rempli de situations cocasses : un chef des brigands, petit bourgeois qui a des soucis avec l’éducation de sa fille et des problèmes de rentrées d’argent, des puissants plus malhonnêtes que les brigands, des travestissements incessants, ... auxquels la musique répond, voire qu’elle accentue : canon des mendiants, pianissimo hurlé face aux carabiniers ... Le tout se veut joyeusement amoral : « il faut voler selon la position qu’on occupe dans la société ».
Créés le 10 décembre 1869 au Théâtre des Variétés, Les Brigands y ont connu un immense succès et resteront à l’affiche pendant 107 représentations jusqu’au 25 mars 1870. C’est le dernier triomphe du Roi du Second Empire, quelques mois avant la guerre et la fin du régime. L’œuvre est rapidement créée à l’étranger : Vienne, New York, Prague, Berlin, Budapest, Madrid, Londres, Milan... Remaniée, elle est recréée à la Gaîté en quatre actes en 1878 en version féérie, sans grand succès. Nécessitant une troupe de chanteurs- comédiens bien rôdée, elle n’a été que rarement donnée au XXè siècle avec cependant une mémorable mise en scène de Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps (Opéra Bastille 1993 et Opéra-Comique 2011).
Argument
Acte I dans la montagne
Cachés dans la montagne, les terribles « brigands de la forêt sombre » arrivent à leur repaire (Chœur Deux par deux ou bien trois par trois). Déguisé en ermite, leur chef, Ernesto Falsacappa les rejoint et dévoile sa véritable identité aux femmes qui, les yeux bandés, le suivaient « sur le sentier de la vertu » (Quel est celui qui par les plaines). À la fois charmées et effrayées, les femmes sont menées par les brigands dans leur caverne.
Resté seul avec son vieux confident Pietro, Falsacappa est interpellé par trois de ses hommes « qui en ont gros » et, la conjoncture n’étant pas bonne, viennent lui réclamer « quelque bon coup à faire ». Il leur promet, sur la tête de sa fille, sa parole d’honneur ne suscitant que des rires, une affaire fructueuse d’ici peu et évoque le prochain mariage de la princesse de Grenade avec le duc de Mantoue, leur souverain.
Descendue de la montagne, Fiorella, (Au chapeau je porte une aigrette) annonce à Falsacappa, son père, qu’elle hésite à poursuivre dans la voie du brigandage et lui avoue en même temps son attirance pour Fragoletto, jeune fermier pillé par sa troupe. Amené par les brigands (chœur Nous avons pris ce petit homme), le jeune homme vient demander à Falsacappa la main de sa fille et veut intégrer la bande (Je désire m’engager dans ta bande). Le chef des brigands accepte de le mettre à l’épreuve et l’entraîne dans la montagne.
Restés seuls, Fiorella et Pietro sont surpris par l’arrivée d’un noble égaré dans la région, en fait le duc de Mantoue incognito. Pietro, flairant la bonne affaire, part prévenir son chef mais Fiorella, pas insensible au charme de l’inconnu, lui révèle le piège dans lequel il va tomber et l’aide à s’enfuir en lui indiquant le bon chemin (Il te faut maintenant, sans perdre un seul instant). Arrivé trop tard, Falsacappa découvre avec colère la traîtrise de sa fille.
De son côté, Fragoletto a fait prisonnier un courrier de cabinet dans les valises duquel on trouve le portrait de la princesse de Grenade et des dépêches (Fragoletto : Falsacappa, voici ma prise). Dans ces dernières, Falsacappa découvre que trois millions seront remis par la cour de Mantoue à l’ambassade de Grenade (Pietro : Trois millions). Après avoir remplacé le portrait de la princesse par celui de sa fille il laisse le courrier rejoindre Mantoue.
Les brigands n’ont plus qu’à célébrer l’entrée de Fragoletto dans leur bande (chœur Flamme claire) en se cachant néanmoins des carabiniers (chœur J’entends un bruit de bottes). Ils passent et repassent mais arrivent toujours trop tard sur le lieu du crime (Nous sommes les carabiniers, la sécurité des foyers).
Acte II dans la campagne, à l’auberge « Aux frontières naturelles »
Sur la « frontière italo-espagnole », Pipo, le tenancier de l’auberge, prépare la rencontre des ambassades (chœur Les fourneaux sont allumés).
Arrivent les brigands, déguisés en mendiants (canon : Soyez pitoyables) auxquels Pipo refuse de prêter secours. Aussitôt il est enfermé avec sa famille dans la cave tandis les brigands prennent le tablier et la tenue du personnel et, ainsi accoutrés, attendent la venue de l’ambassade espagnole.
Falsacappa compte sur Fiorella pour réparer son égarement précédent avec le bel inconnu et mener à bien son plan de captation des millions liés au mariage. Cédant à sa fille, il lui accorde en attendant un pourcentage sur le butin et la main de Fragoletto, le tout officialisé par le premier notaire qui passe (duo du notaire Hé-la, hé-la, joli notaire).
Venant alors aux « affaires sérieuses », il envoie Fragoletto chercher les costumes de marmitons puis tente de faire comprendre à un Pietro qui rêve à la simplicité du brigandage d’autrefois les ressorts de son plan : des substitutions aux marmitons, aux gens de Mantoue, aux gens de Grenade pour aller à Mantoue recevoir les trois millions !
Maintenant déguisés en marmitons, les trois hommes répètent leurs rôles (Arrête toi donc) en prévision de l’arrivée des troupes princières (chœur Dissimulons, dissimulons !).
À la tête du cortège italien avec le chef des carabiniers, le baron Campo-Tasso (Nous avons ce matin) explique la composition de son ambassade. Il est cependant suspicieux face à ces marmitons. Falsacappa le mystifie, se moque du chef des carabiniers puis s’empresse de les faire entrer dans l’auberge, les Espagnols arrivant (chœur Grenade, infante des Espagnes) avec à leur tête le comte de Gloria-Cassis (Y’a des gens qui se disent Espagnols).
La princesse s’étonnant de ne pas être accueillie, son chambellan lui apprend que son mariage a été organisé afin de récupérer maintenant l’argent dû et plus tard tout l’argent de Mantoue et qu’il lui faudra user de son influence pour donner aux Espagnols « tous les emplois importants ».
Quand Falsacappa et Pietro, à moitié vêtus, se présentent enfin, Gloria-Cassis, se référant sans cesse à la morgue espagnole, réclame la somme à Pietro, vêtu des habits de Campo-Tasso, mais qui se croie toujours cuisinier... Fiorella, habillée cette fois en aubergiste, gagne le cœur de la princesse en lui racontant son amour pour Fragoletto (Vraiment je n ‘en sais rien).
Pressés d’en finir, les brigands font entrer de force la princesse et sa suite dans l’auberge en attendant qu’à la faveur de leur sommeil ils puissent ravir leurs tenues. Sur fond de cris des carabiniers ivres, Pipo, surgit du soupirail et donne l’alerte.
Falsacappa, finalement reconnu par Campo-Tasso, finit par tomber le masque et ordonne à ses hommes de mettre en joue les Espagnols. Pendant ce temps, Campo-Tasso essaie de faire appel aux carabiniers mais ceux-ci fraternisent la bouteille à la main avec les brigands...
Acte III chez le duc de Mantoue
Au palais du duc de Mantoue, les dames de la cour se désolent de devoir abandonner leur prince (chœur C’est l’aurore). Dans le portrait de sa future épouse, celui-ci croit reconnaître la jeune fille croisée auparavant dans la montagne.
S‘inquiétant alors des millions à payer, il fait venir le caissier bien fatigué qui le rassure cependant sur les fonds disponibles. Resté seul, il se désole d’avoir dilapidé l’argent de la cour (Ô mes amours, ô mes maîtresses) et se demande fébrilement comment se sortir de sa situation.
Les brigands font alors leur entrée dans le palais, se faisant passer pour l’ambassade de Grenade (Voici venir la princesse). Le prince et Fiorella se reconnaissent. La fille du brigand, déguisée maintenant en princesse, donne le change bien que peu aidée par les propos décalés de Pietro ; les bandits ne peuvent s’empêcher, malgré les ordres de Falsacappa, de voler trois montres ... Chassez le naturel constate Pietro.
Falsacappa réclame obstinément l’argent au caissier qui échoue à le soudoyer et finit par lui avouer qu’il n’a pas la somme. Alors que le chef des brigands dénonce le caissier devant la cour, la véritable ambassade de Grenade arrive et révèle la supercherie. Pour une fois, les carabiniers parviennent à faire leur devoir et arrêtent les criminels. Le prince ordonne alors qu’on pende les brigands. Fiorella, rappelant au prince son aide passée, plaide pour son père et ses amis (Si tu n’es pas ingrat, amnistie ! Amnistie !). Le prince les gracie et accorde à Fiorella la main de Fragoletto. Et tandis que le caissier s’entend avec Gloria-Cassi, Falsacappa, sa fille et son amant disent adieu au brigandage (Adieu le brigandage).
Les personnages et leurs voix
Contrairement à La Périchole, à La Grande-Duchesse de Gérolstein ou aux Contes d’Hoffmann, les Brigands sont une œuvre de troupe avec une distribution pléthorique de 24 rôles, essentiellement de comprimari (soit des personnages qui ne chantent pas d’airs complets ni de longues scènes) sans réel personnage principal dont voici les plus notables par leur présence sur scène ou la durée / célébrité des airs:
- Ernesto Falsacappa : chef des bandits, alter ego du Fra Diavolo d’Auber (ténor).
- Pietro : sous-chef de la bande, vieux confident de Falsacappa, un peu lent d’esprit (ténor)
- Fiorella : fille du chef des bandits, amoureuse de Fragoletto (soprano).
- Fragoletto : jeune fermier pillé qui se fait bandit pour l’amour de Fiorella (soprano, rôle travesti).
- Duc de Mantoue : perdu dans la montagne, il est aidé par Fiorella ; coqueluche de ses dames, il doit épouser la princesse de Grenade (ténor).
- Baron de Campotasso : premier écuyer du duc de Mantoue, membre de la délégation italienne
(ténor)
- Chef des carabiniers : membre de la délégation italienne (basse)
- Comte de Gloria-Cassis : chambellan de la princesse de Grenade (ténor).
Discographie
- John Eliot Gardiner (dir): Tibère Raffali (Falsacappa), Ghislaine Raphanel (Fiorella), Colette Alliot- Lugaz (Fragoletto) –Orch de l’opéra de Lyon- studio -1989- EMI La Voix de son Maître : une version qui reste une référence.
Vidéographie
- Claire Gibault (dir), Louis Erlo et Alain Maratrat (mes) : Michel Trempont (Falsacappa), Valérie Chevalier (Fiorella), Colette Alliot-Lugaz (Fragoletto) –Orch de l’opéra de Lyon-1988. DVD ONL
Bibliographie
- Jean-Claude Yon : Jacques Offenbach. NRF-Gallimard 2000. La somme en français par le plus grand spécialiste du compositeur.
- Jean-Philippe Biojout : Jacques Offenbach, coll. Horizons Bleu Nuit Editeur, 2018. Dans la lignée de cette collection, une synthèse biographique d’abord facile, truffée d’anecdotes et d’informations détaillées sur les compositions, le tout illustré en moins de 180 pages, pour découvrir Offenbach.
- Robert Pourvoyeur : notice CD version Gardiner.
Jean-François Bourdeaux
Club Opéra
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