Cyrille Nkontchou: faire des affaires en permettant aux autres d'en faire
Près de 30 ans après son départ de la rue Saint Guillaume, l’entrepreneur camerounais Cyrille Nkontchou est un témoin privilégié des heurs et malheurs des affaires en Afrique, qui attirent un nombre croissant de regards et de dollars. À travers ses différentes entreprises, il soutient les entrepreneurs du continent. Le cercle Afrique de Sciences Po Alumni l’a rencontré.
« Mon parcours est symptomatique de ces dernières décennies de l’entrepreneuriat africain ». Cyrille Nkontchou ne s’en cache pas, son parcours est tout sauf rectiligne. Aujourd’hui à la tête du fonds d’investissement Enko Capital, il partage sa vie entre Johannesburg et Abidjan, avec de fréquents passages dans les capitales européennes.Comme tout entrepreneur de son temps, son langage regorge d’anglicismes, et les pitchs de chacune de ses entreprises semblent rôdés, éprouvés par 30 ans de levées de fonds et de projets.
Diplômé en 1990 de ce qu’on appelait alors « la filière éco-fi » de Sciences Po, il prend la voie de la finance après avoir hésité un instant à passer les concours administratifs. Mais, alors qu’il est consultant à Paris au sein du cabinet Andersen (devenu aujourd’hui Accenture), la lutte contre l’apartheid et l’élection de Nelson Mandela en Afrique du Sud le rappellent au bon souvenir de son continent d’origine.
Il économise et se prépare au milieu des affaires en allant suivre un MBA à la prestigieuse Harvard Business School. Une rencontre d’alumni de cette dernière dans la ville du Cap, en 1998, le conforte dans sa volonté de s’installer en Afrique du Sud, alors qu’il vit entre Londres et New York à cette époque, en charge de l’Afrique sub-saharienne pour la banque d’affaires Merill Lynch.
Nous sommes à la fin des années 1990, au moment où la première bulle internet commence à enfler. La méthode Nkontchou se dessine : faire des affaires en permettant aux autres d’en faire. Inspiré par ses camarades de promotion déjà pionniers du numérique, il se pique d’informatique et s’installe à Johannesburg, où il crée Liquid Africa, plateforme en ligne donnant des informations boursières sur tout le continent. Il convainc alors des investisseurs de lui faire confiance et de l’aider à financer ce virage. Un tour de force, à l’époque. « L’accès au financement reste le principal point faible du secteur privé africain, même s’il est en train d’être résolu avec de nouveaux bailleurs » Mais en 2001, la bulle internet éclate, et il doit recentrer les activités de Liquid Africa sur l’intermédiation financière.
Les années qui suivent en Afrique du Sud sont malgré tout galopantes, sur fond de croissance à deux chiffres et de discours sur l’émergence des BRICS. « C’est une période où nous avons réussi à faire beaucoup de levées de fonds et de bonnes transactions », se souvient-il. Cyrille Nkontchou investit dans le groupe RMG, premier distributeur de produits phytosanitaires en Afrique de l’Ouest. Il s’associe ensuite avec son frère basé à Londres pour lancer un fonds d’investissement en capital-risque, Enko Capital, qui gère aujourd’hui pour plus de 350 millions $ d’actifs.
Sa stratégie pro-business franchit une autre étape en 2013. Inspiré par sa mère, qui dirige une école au Cameroun, il se lance dans le secteur éducatif et crée Enko Education en s’associant à l’entrepreneur français Eric Pignot. Là encore, le pitch se déroule tout seul : « Les bons élèves ont besoin d’un diplôme reconnu à l’international pour faire le cursus qu’ils souhaitent. Nous avons donc créé une série d’écoles qui permettent de passer le baccalauréat international à moindre coût », développe-t-il. « Notre stratégie est d’investir avant tout dans les bons enseignants locaux plutôt que dans la construction de nouveaux bâtiments, quitte à enseigner dans une villa ! »
Treize écoles plus tard, Enko Education est en pleine croissance. Déjà implantée au Mozambique, en Afrique du Sud, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Mali et au Sénégal, l’école se vante de coûter jusqu’à cinq fois moins cher pour ses quelque 2000 élèves que les établissements américains délivrant le même diplôme. « L’ambition est de passer à 20 000 élèves dans une trentaine de pays d’ici à 2026 », vise Cyrille Nkontchou.
Aujourd’hui, ce dernier n’a renoncé à aucun de ses projets. Il divise son emploi du temps entre Liquid Africa, Enko Capital et Enko Education en veillant à n’en délaisser aucun. « Ce n’est pas forcément le rythme le plus efficace, mais c’est le plus satisfaisant ! » assure-t-il. Clin d’œil du passé, les quelques stagiaires étudiant à Sciences Po qu’il recrute à Enko lui remémorent ses années Rue Saint Guillaume. « Je me rends compte à quel point l’école a beaucoup changé et s’est tournée vers le continent, avec un programme Europe-Afrique dont j’ai pu apprécier la qualité à travers leurs alumnis ».
Ce climat des affaires désormais favorable fait monter une nouvelle génération très attendue d’entrepreneurs, ce qui le réjouit. « Avant, on ne pouvait se financer que par la dette, mais il y a aujourd’hui de plus en plus de fonds de private equity qui sont prêts à partager le risque avec l’entreprise », décrypte-t-il.
Conséquence directe de cet afflux de fonds, le témoin des premiers balbutiements d’internet sur le continent s’émerveille des innovations qui émergent sur le continent, en avance sur le reste du monde lorsqu’il s’agit de développer les paiements par mobile, qui permettent une bancarisation accélérée de millions de personnes. « On assiste aussi au développement de l’énergie offgrid, avec des kits solaires qui permettent d’approvisionner en électricité des zones rurales sans connexion au réseau C’est la perspective de nouveaux emplois pour les futures générations, sachant que le continent comptera 2 milliards d’habitants d’ici 2030 », espère-t-il.
Celui-ci ne tombe pas pour autant dans un excès d’optimisme. « La gouvernance sur le continent reste le principal obstacle, sur lequel les acteurs privés n’ont pas la main », objecte-t-il. « Et dans le domaine des startups, les entrepreneurs non-africains arrivent en général avec plus de moyens et de facilités pour lever des fonds ». Mais Cyrille Nkontchou ne s’en formalise pas, et ne voit pas non plus de risque majeur aux investissements chinois massifs en Afrique au cours des dernières années : « À mon avis, la concurrence internationale ne provoque pas d’effet d’éviction en particulier pour les entrepreneurs locaux. Ceux qui en souffrent les premiers sont avant tout les entrepreneurs occidentaux, mais les Africains ne sont pas dans le même créneau. »
Cyrille Nkontchou en 6 dates :
1968 : Naissance à Yaoundé
1981 : Arrivée en France
1987-1990 : Scolarité à Sciences Po
1999 : Création de Liquid Africa
2007 : Création d’Enko Capital
2013 : Création d’Enko Education
Regards d’Alumni Afrique
Sous la forme de courtes interviews retraçant le parcours d’anciens de l’école actifs sur le continent, cette initiative célèbre la richesse et la diversité des profils des alumni originaires d’Afrique et qui travaillent sur des problématiques ayant trait au continent africain
L’objectif de « Regards d’Alumni » est double :
1) inspirer la communauté des alumni et étudiants de Sciences Po par le récit de parcours singuliers
2) mettre en avant des secteurs et activités clés en Afrique et l'analyse que porte l'Alumnus sur les évolutions de son secteur d'activité en Afrique
Contact : afrique@sciencespo-alumni.fr
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