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La France, pays d'entrepreneurs

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06/01/2016

Tous les chemins mènent à l'entrepreneuriat. Celui de Renaud Dutreil (promo 84) a commencé au Conseil d'Etat, s'est poursuivi à l'Assemblée nationale puis au gouvernement. Secrétaire d'Etat puis Ministre des PME au début des années 2000, il tourne la page de la politique pour présider la filiale américaine de LVMH. Un tremplin pour se lancer dans les affaires. Dans un entretien accordé au magazine Emile, ce chef d'entreprise aguerri retrace son arcours atypique et nous livre sa vision de l'entrepreneuriat en France.

« La France est l’un des plus grands pays d’entrepreneurs au monde »

 

 

Vous avez créé à New York en mars 2012 le fonds d’investissement Belleville Solutions, dont vous êtes le P-DG. Pourquoi les États-Unis ?

Parce que je vivais à New York, tout simplement. C’est une ville finalement plus proche de l’Europe qu’on ne l’imagine. Elle a beaucoup d’énergie et offre énormément d’opportunités à des Français.

Belleville Solutions investit dans des « modèles de rupture ». Qu'entendez-vous par là ?

Je recherche des start-up qui développent un modèle innovant leur permettant de surmonter la concurrence. J’étais le premier à investir dans AHAlife, une plate-forme de vente en ligne d’objets artisanaux et de luxe, laissant toute sa place à l’histoire des créateurs. Une jeune femme de 29 ans est venue me voir un jour avec son talent, une simple feuille de papier et trois idées griffonnées dessus pour me demander d’investir 500 000 dollars. Depuis, l’entreprise a fait un très beau parcours. Son dernier investisseur n’est autre que le géant japonais de la vente en ligne, Rakuten, et AHAlife (www.ahalife.com) est depuis peu cotée à la bourse de Sydney. L’itinéraire de cette entrepreneuse est très représentatif du monde moderne : cette jeune Chinoise a quitté son pays avec ses parents après les manifestations de la place Tian’anmen pour s’installer sur la côte ouest des États-Unis, elle a suivi un parcours académique remarquable à Boston, puis est arrivée à New York pour créer une entreprise avec un Français et un Britannique ; un investisseur japonais est entré dans le jeu et elle est désormais cotée en Australie. Avec sa petite entreprise, elle a fait le tour du monde !

Quels sont les ingrédients d'une start-up prometteuse ?

Apporter du changement, car l’innovation est le « moteur propre » de l’économie. Mais une « bonne idée » n'est rien sans une « bonne exécution » : l’entrepreneur doit aussi avoir une vision, être en rupture avec les modèles dominants, faire preuve de vraies capacités managériales et avoir une grande force de caractère pour mettre en œuvre sa stratégie.

Comment choisissez-vous les start-up sur lesquelles vous misez ?

Pour ces mêmes raisons. Mon goût pour ce qui bouscule les modèles existants me guide, mais la personnalité de l’entrepreneur est déterminante. La constance, l’acharnement, la ténacité sont des qualités essentielles, car des obstacles inattendus et intimidants pavent le chemin d'un entrepreneur ; la tentation du renoncement est forte. Il faut passer entre les averses, résister au froid, en un mot, être un marcheur de haute montagne !

Votre expérience d'homme politique est-elle un plus dans vos activités d'entrepreneur ?

Elle m’est très utile. En politique comme dans l’entrepreneuriat, la psychologie joue un rôle essentiel : il s’agit de cerner ou devancer les attentes des individus. Le produit de consommation est une façon de se raconter. Dans le secteur du luxe, on parle de business of emotions : le produit a toujours une fonction, mais, en réalité, il s’agit d’émotion, de culture, d’histoire de marque et de relation intime avec l’objet. Prenons l’exemple des montres. À l’heure des smartphones, personne n’a besoin de regarder son poignet pour connaître le jour et l’heure. Mais cet objet est devenu un talisman du monde masculin. Maîtriser le temps. Ce qui touche au corps rend l’être humain beaucoup moins rationnel. J’aime entrer dans ces auto-récits du consommateur moderne.

Faites-vous confiance aux entrepreneurs français ?

La France est l’un des plus grands pays d’entrepreneurs au monde. C’est ma conviction. C’était déjà mon intuition en 2002 quand je me suis intéressé, en tant que secrétaire d’État, à la création d’entreprise. Deux cultures font notre force : d’une part, notre esprit cartésien, rationnel, scientifique, qui nous permet d’être rigoureux dans l’exécution ; et d’autre part, la fantaisie française, cette furia francese, qui nous pousse à sortir des sentiers battus. Résultat : des gens très compétents et créatifs, le portrait-robot de l’entrepreneur qui réussit. Qui plus est, la France a toujours été un pays très ouvert sur le monde, capable d’embrasser toutes les influences et de les incorporer à sa propre culture. Mais, paradoxalement, c’est aussi l’un des pays où les entrepreneurs sont les plus combattus dans la sphère publique.

Les entrepreneurs français seraient contrariés tandis que les entrepreneurs américains seraient encouragés par leur environnement…

Il y a énormément d’atouts pour créer une entreprise en France, mais au moins autant de suspicion à l’égard des entrepreneurs. Notre pays commet l’erreur d’assimiler l’entrepreneuriat au capitalisme, qu’il n'aime pas. Ce sont pourtant deux choses très différentes. Un entrepreneur est un être humain qui s’accomplit en créant. L’entrepreneuriat est la forme naturelle du travail humain. L’Homo sapiens est devenu salarié très tardivement ! Au lieu de valoriser nos entrepreneurs, on les regarde d’un œil torve, comme des voleurs quand ils réussissent et des nuls quand ils échouent. Or, l’échec est souvent une étape vers la réussite, et la réussite financière souvent la conséquence de la réussite entrepreneuriale. Les Américains ont un autre atout. Une bonne idée aux États-Unis germe sur un marché unifié de 340 millions de personnes. L’Europe devrait ouvrir aux entrepreneurs français un marché plus grand encore, mais on est loin du compte. Conquérir le marché italien, espagnol ou allemand reste très difficile. Néanmoins, l’entrepreneur français évoluant dans un environnement plus hostile, il en devient aussi plus aguerri.

En 2014, vous avez repris l’entreprise charentaise Fontaine Jolival. Pourquoi vous être lancé dans cette aventure ?

J’avais envie de relever des défis successifs : je ne connaissais rien à ce secteur ; l’entreprise avait échoué dans son modèle précédent ; et, enfin, le marché de l'eau est extrêmement compétitif, avec trois géants mondiaux, Nestlé, Danone et Cristalline, qui ont mis fin aux sources françaises de terroir indépendantes ; mais j’aime les sources ! L’eau qui jaillit de la terre m’a toujours fasciné : imaginez que la source Fontaine Jolival a plus de 20 000 ans. Son eau pleuvait sur la tête des hommes de Cro-Magnon ! De plus, le site est enchanteur. J’apporte mon savoir-faire à ce patrimoine vivant, hérité du passé et qui me survivra. Je me définis comme le gardien de la source plus que comme son propriétaire (www.jolival.com ).

À quels chantiers vous êtes-vous attelé ?

Il fallait introduire des éléments d’innovation tout en respectant l’héritage de la source, pour réaliser une transformation salvatrice. L’eau est souvent perçue comme un produit banal. Alors que c’est la vie. J’ai revu le packaging des bouteilles, réinventé le code graphique de la marque et la façon de communiquer. J’ai noué des partenariats avec tous les acteurs culturels et sportifs de la région pour que les Charentais se réapproprient cette eau, qui était devenue invisible. Au-delà, j'ai voulu la valoriser : elle a été choisie par le club du Paris Saint-Germain, ce qui constitue une reconnaissance fabuleuse. On pourrait multiplier ce modèle. La France regorge d’entreprises qui font de beaux produits et ont un grand savoir-faire. Il faut simplement les raviver. C’est aussi le travail d'un entrepreneur.

Vous êtes revenu en France en 2014. Doit-on y voir le résultat de la politique de François Hollande ? CICE, pacte de responsabilité, loi Macron… ces réformes vous rendent-elles optimiste ?

Ces mesures sont des tempêtes dans un verre d’eau. Elles ne changeront pas la trajectoire du paquebot France à la surface agitée de la mondialisation. Il faut être réaliste, depuis plusieurs années, la droite comme la gauche passent à côté des problèmes économiques et sociaux de la France.

Êtes-vous aussi sévère avec vos propres réformes ?

Oui et non… Certaines ont quand même conduit à des changements radicaux. La réforme fiscale sur la transmission d’entreprise a été un choc salutaire. Il y a un avant et un après. Il en va de même des mesures que j’ai portées pour sécuriser le passage du statut de salarié à celui d’entrepreneur, en particulier la possibilité de conserver son contrat de travail ou de continuer à bénéficier de l’assurance-chômage pendant un an. On dit que l’entrepreneur « aime prendre des risques ». En fait, il aime conjurer les risques. La « SARL à un euro » de capital a été une mesure symbolique forte. Elle a envoyé un message clair : c’est à l'entrepreneur de définir le niveau de capital dont il a besoin, pas à l’État. En 2003, j'ai sillonné la France, y compris dans un « train de la création d’entreprise », pour expliquer ces mesures et donner envie, car en politique, il faut créer du désir. Si on néglige de susciter l’enthousiasme, les gens n’adhèrent pas et les réformes échouent.

Quel choc préconisez-vous pour relancer l’investissement en France ?

Il faut réinventer le code du travail pour l’adapter au xxie siècle. L’équilibre entre flexibilité et sécurité est aujourd’hui indispensable à l’épanouissement professionnel. Mais l’avenir du pays dépendra aussi de l’éducation. Ne renonçons pas à cet idéal républicain et humaniste : l’accès de tous à une éducation de qualité. Le capitalisme de demain sera un capitalisme du savoir plus que de l’argent.

La classe politique française est-elle à la hauteur ?

Elle n’est porteuse d’aucun espoir. Le Parti socialiste et les Républicains sont à côté de la réalité du monde. Concernant l’entrepreneuriat, ils ne perçoivent pas qu’aujourd'hui, une grande partie des Français souhaite se comporter en entrepreneur, y compris quand ils sont salariés. L’individu responsable, qui prend des initiatives, doit être le modèle de demain. Quant au Front national, il est nostalgique d’une France qui n'existe plus ou qui n’a jamais existé.

Nos hommes et nos femmes politiques se comportent comme des « réparateurs ». Ils changent trois vis et deux boulons et appellent ça « réformer ». Nous avons besoin de « transformateurs », qui repensent le système selon des critères d’efficacité, loin du débat dépassé entre libéralisme, nationalisme et socialisme.

La politique ne devrait pas être une carrière à vie. Je fais une proposition : limiter à quinze années l’exercice consécutif de mandats électoraux. La professionnalisation de nos dirigeants conduit à ce paradoxe : les politiques français sont des génies pour conquérir le pouvoir – c’est devenu leur métier – et des cancres quand il s’agit de l’exercer.

Comment voyez-vous votre avenir ? Envisagez-vous un retour en politique ?

Il ne faut jamais dire jamais. Mais là encore, vive les vraies ruptures ! Nous n’avons plus besoin des partis politiques, ces machines à distribuer des mandats électoraux, qui servent in fine l’ambition d’un seul. Le parti n’est pas une structure propice au débat d’idées. Il broie tous ceux qui pourraient apporter un souffle nouveau. Aujourd’hui, on a besoin de réseaux intelligents et participatifs et de leaders capables de prendre des décisions vite et bien une fois élus. Une plate-forme d’idées et une équipe nouvelle pourraient renverser le système actuel ; 300 personnes venues de tous les horizons pour renouveler la classe politique et élaborer un programme neuf et simple. Beaucoup de bonne volonté, un budget de 50 millions d’euros pour diffuser ces idées et soutenir ces forces vives. Si j’en avais les moyens, je n’hésiterais pas !

Que souhaitez-vous dire aux étudiants ou jeunes diplômés de Sciences Po ?

Soyez fiers d’être Français. Cultivez ce patrimoine français qui a une valeur incroyable. Nous représentons une rareté. L’art de vivre français est un modèle dans le monde entier. Le talent en France n’est pas uniquement dans l’entrepreneuriat ; il est dans l’art ; il est aussi dans l’État, sa vision du long terme, sa rigueur, son éthique, son sens de l’intérêt général. La COP21 est un succès majeur du service public à la française. Seul un réseau de diplomates d’une efficacité formidable a pu orchestrer un tel accord.

Et soyez des citoyens du monde. Il y aura beaucoup d’opportunités dans le monde de demain pour des Français curieux, bien formés, entreprenants.

Propos recueillis par Camille Le Tallec (promo 10) et Anne-Sophie Beauvais (promo 01)
Entretien paru dans le numéro 4 d'Emile

PHOTO/ Manuel BRAUN

Cliquez sur l'image pour lire l'entretien paru dans Emile

Renaud Dutreil (promo 84)

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