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[Club Littérature] Valery Stalder, EugSoc (novembre 2022)

Chroniques littéraires

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12.07.2022

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« Frissons garantis, petit miracle renouvelé de la fiction… » : Frédérique Trimouille nous explique pourquoi il faut lire EugSoc de Valery Stalder (promo 1992), paru en novembre 2022 en auto-édition chez Librinova.

Le livre


L’auteur
Photo du site Librinova, https://www.librinova.com/auteur/valery-stalder


Valery Stalder est né au début des années 1970. Résident en Suisse, il est associé dans une petite entreprise de services. Diplômé de Sciences Po Paris en 1992 (Valery Stalder est un nom de plume), il s'intéresse à de nombreux sujets, de la pensée dystopique aux voitures anciennes, en passant par les relations internationales et la Formule 1.


Présentation du livre par l’auteur

Nous sommes dans un futur proche. Tibur Seelenfeld vient de se faire licencier. Il déchante vite : sa candidature n'est pas retenue par les plateformes algorithmiques de mise en relation automatisée avec les employeurs. Obligé de suivre un programme de rééducation sociale, il y rencontre Marla, aussi paumée qu'attirante.

Marla lui fait connaître la Federation of Privacy Advocates (FPA), une organisation qui milite pour la défense de la sphère privée numérique. La FPA a été informée d'un programme clandestin de notation sociale des individus : leur empreinte numérique est fichée dans une base de données géante, EugSoc. Des algorithmes traitent ces données pour en extraire une note dénommée Human Predictive Value. Cette note est utilisée secrètement pour discriminer des millions d'individus, dont Tibur, qui découvrira bientôt l'étendue des dommages qu'elle lui a causés.

La FPA organise la lutte contre ce projet tentaculaire. Ses investigations permettent d'en identifier le cerveau : Phil Suckermann, le fondateur du réseau social FaceLog. Suckermann a une obsession : purifier le corps social en écartant du système ceux dont la transparence et les capacités d'interactions sociales, mesurées par leur empreinte numérique, sont jugées insuffisantes. Suckermann revendique un eugénisme social reposant sur la haute technologie. La FPA engage un combat sur tous les fronts contre la galaxie Suckermann.

Tibur Seelenfeld et Marla sont intimement mêlés à cette lutte planétaire. Jusqu'à la fin.


Des extraits choisis par Frédérique

« ... notre diamant de synthèse, Human Predictive Value, constitue un indicateur extrêmement précis de la compatibilité d'un individu avec la société. Cet indicateur matérialise le degré d'insertion actuel de l'individu dans le tissu social ; il donne également une indication quant à l'évolution future de cet individu. Nous avons en effet observé une corrélation imparable entre les notes les plus basses, et l'éviction future de l'individu des relations sociales essentielles : emploi, couple, cercle d'amis, cercles associatifs, etc. Avec pour corollaire l'écroulement de la valeur économique de l'individu concerné. Human Predictive Value permet d'effectuer un tri capital pour le salut du monde. Cette note nous aidera à distinguer les individus avec lesquels nous pourrons bâtir à l'échelle du globe une société humaine homogène, transparente, coopérative et performante. »
« ... ma foulée s’allonge, je dévore la pente avec gourmandise. Chaque pas est comme une déclaration d’amour à la terre. Puis j’atteins le sentiment d'exaltation que seule la course en solitaire peut m'offrir. Le monde est beau, les projets se bousculent dans ma tête, les problèmes difficiles trouvent leur résolution. Un panthéisme exalté me fait reconnaître des divinités dans le ruisseau clair que je viens de franchir, dans le chêne sous lequel je viens de passer. Un sentiment mystérieux d'unité avec les racines des arbres, avec le ciel orangé et les ondes telluriques s’empare de moi ».


L'avis de Frédérique

Le personnage principal : un honnête homme du XXe siècle égaré dans notre futur proche

Tibur est un honnête homme du XXe siècle égaré dans notre futur proche. Un peu inconsistant, victime d’un abominable système de notation sociale qui ne lui laisse aucune chance, il se révèle en participant à un combat collectif de défense de la sphère privée numérique. D’abord militant timide, sa confiance en lui grandit, il découvre qu’il peut être efficace et courageux. Il est influençable mais en même temps, contrairement à la plupart de ses compagnons, il ne cesse de s’interroger sur la pertinence de leur stratégie. Tibur est donc un excellent compagnon pour le lecteur qui le suit dans ses illusions, ses questionnements et ses déconvenues et puis ... Tibur est amoureux, tout en délicatesse, il apprivoise lentement ses sentiments pour Marla.

Marla, ébouriffée, charmante, est paumée, mal notée elle aussi, elle s’éteint et s’anime au gré de ce qu’elle vit, elle se dessine en contrepoint de Tibur. Elle se montre d’abord plus entreprenante et talentueuse que lui, elle l’entraine dans son combat, le stimule, jusqu’à ce qu’elle soit rattrapée par le doute à son tour et que leurs choix les éloignent l’un de l’autre, pour se retrouver finalement dans un ailleurs.


L’émotion du lecteur monte en tension jusqu’à la fin

« Eugsoc » m’a conquise. De haute lutte mais il m’a conquise. Oui, l’empreinte numérique de l’homme devient l’alpha et l’oméga de nos sociétés, oui il est d’affreux idéologues fort puissants qui tentent de réduire l’Humanité à cette empreinte et à faire de nous des êtres transparents, insignifiants, abstraits et surtout conformes. La dystopie de Valery Stadler est abominablement plausible et très proche de notre réalité.

Alors au début, et ce malgré la précision remarquable avec laquelle l’enquête progresse, nous renseigne sur les mécanismes de recueil, de manipulation et d’utilisation des données et sur les dégâts humains qu’elle entraîne, on se dit « oui, c’est triste et alors ? ». Alors commence le combat de quelques humains plus humains que les autres peut-être, ou tout simplement le combat de ceux qui, comme le narrateur Tibur et son amie Marla, sont tellement mal notés par le système qu’ils sont condamnés d’avance à échouer dans tout ce qu’ils entreprennent. C’est dans ce combat que l’émotion du lecteur prend le pas sur sa curiosité, il espère, il désespère, il espère à nouveau...

Tibur est tellement humain, il est médiocre, courageux, naïf, il goute les joie du groupe et tombe dans ses pièges, il est de toutes les batailles de la MPA qui tente de résister à ce monstre tentaculaire et à chaque bataille, en bon lecteur, on y croit... et puis il y a la petite musique de l’amour qui se fraye un chemin dans tout ça, malgré tout...

Un livre dans lequel l’émotion du lecteur monte en tension jusqu’à la fin est un livre réussi, c’est le cas d’Eugsoc.


Pourquoi ce roman devrait vous plaire

La réflexion sur la numérisation de la société et au-delà, de l’Humanité, qui est évidemment un de nos enjeux fondamentaux, est ici portée par un roman bien documenté, dont l’histoire est à la fois plausible et émouvante et dont l’écriture est fluide et claire. En mettant en jeu des destinées individuelles attachantes, Eugsoc contribue à déplacer le regard, « ça » devient vrai... frissons garantis, petit miracle renouvelé de la fiction.

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