Services de presse entre Alumni #23 : L’épaisseur du trait, de Renaud Czarnes
02.27.2025
« On pourra tirer son chapeau à l’auteur pour sa capacité à manier sa plume comme un scalpel et à appuyer là où ça fait mal tout en faisant sourire et même rire son lecteur » : Carla Lavaste (promo 1987) nous explique pourquoi elle a aimé L'épaisseur du trait de Renaud Czarnes (promo 1990), paru en octobre 2024 chez Héliopoles.
Le livre
L’auteur
Renaud Czarnes. Crédits : Philippe Quaisse.
Renaud Czarnes a tour à tour été journaliste, conseiller politique (il a notamment dirigé le service de presse de Jean-Marc Ayrault avant de devenir son conseiller), dirigeant d’entreprises, écrivain et photographe. Il est titulaire d'une maîtrise de lettres modernes de l'université Paris-X Nanterre et diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris.
C’est également un passionné de musique et de jazz en particulier.
En parallèle de ses fonctions de directeur de la communication pour le compte de grands groupes français, il enseigne à Sciences Po depuis 2015, intervenant notamment sur le fonctionnement des médias et sur les enjeux des relations entre politiques et médias, et également à l'Iscom, dont il est membre du comité scientifique depuis 2020. Il a fondé la société de conseil en communication Le Choix des mots.
Outre L'épaisseur du trait, il est l’auteur de Nos amies les lettres, Anti-manuel de communication politique, Un passant ordinaire.
Présentation du livre par la maison d'édition
Il y a des jours où l’on a autant envie d’aller au boulot que Jésus de monter sur la croix. C’est ce que je me disais ce matin en claquant la porte de chez moi pour me rendre au bureau. Ce n’est peut-être pas de la lassitude finalement, mais de l’usure… à 44 ans. L’usure de répéter inlassablement les mêmes choses (peu intéressantes) à des personnes souvent inconsistantes et parfois nuisibles. Celle d’avoir le sentiment profond que rien de tout cela n’est utile. Si je disparaissais demain et que l’on ne me remplace pas, cela n’aurait aucune incidence pour aucune des entreprises que j’accompagne dans mes missions… La remarque vaut pour presque tous les gens que je croise au travail. À quoi sont-ils socialement utiles ? La réponse est tragique : à rien.
Satire drolatique de l’entreprise et du capitalisme, L’Épaisseur du trait est un hymne à ceux qui rêvent de réenchanter un monde qui court à sa perte.
L'avis de Carla
Un récit partiellement romancé du phénomène des « bullshit jobs »
Dès l’incipit – « Il y a des jours où l’on a autant envie d’aller au boulot que Jésus de monter sur la croix. » –, le ton est donné : ce récit écrit à la première personne va nous offrir une plongée caustique et sans concession dans le monde aussi impitoyable qu’absurde du travail et plus particulièrement des « communicants ».
Marceau, le narrateur, est à la fois acteur et fin observateur désabusé d’un système qui brasse du vent et vit comme une sangsue au crochet de ses clients, dans une relation réciproquement perverse assumée. De la hiérarchie interne de l’agence en passant par les clients, tout le monde en prend pour son grade.
Ainsi,
Quand on a rendez-vous à la fois avec la directrice générale et la DRH on est aussi serein qu'un faisan à l'ouverture de la chasse. On sait que quelqu'un sortira baisé de la réunion et on sait que le baisé ce sera nous. On a déjà beaucoup d'informations.
Ou :
Un client est souvent une personne qui, dans une autre vie, aurait été dictateur ou tortionnaire. Son plan B étant d'avoir un travail qui le met en relation avec de nombreux prestataires, il peut assouvir ses aspirations profondes dans un cadre démocratique.
L’épaisseur du trait a beau être présenté comme une fiction, on sent que l’auteur connait intimement le monde qu’il décrit et l’on se prend à rire – jaune, parfois, pour quiconque a un jour travaillé dans ce secteur – de ses observations aussi cruelles que justes, comme ici :
Si vous me demandez où vont les idées pour mourir, je vous répondrai instinctivement à La Défense. C'est là que l'on trouve la plus forte concentration d'entreprise du CAC 40 et nous y avons quelques-uns de nos plus gros clients. Mais on ne peut pas dire que la dalle de La Défense soit le plus grand mausolée du monde, car une idée morte chez un client peut toujours être ressuscitée chez un autre. Nous sommes un peu les Lavoisier de la pensée : nous recyclons.
Ou encore :
On a besoin de l'anglais comme un syphilitique de la benzathine pénicilline. On répand ces nouveaux mots comme on pulvérise des pesticides, sans état d'âme. […] Dès que le client s'est approprié les mots les plus courants (comme « out of the box », « best practices », « bench », « roadmap », « brand content », « study case », « tech for good » et j'en passe une petite centaine), alors, surtout, nous ne les employons plus et nous en prenons d'autres qui n'ont pas encore servi.
Une histoire d'amour
Toutefois, L’épaisseur du trait n’est pas qu’un récit partiellement romancé du phénomène des « bullshit jobs » tel que décrit par David Graeber dans son livre paru en 2018. L’on y trouve aussi une relation amoureuse – celle du narrateur avec la merveilleuse Siloé. Alors que sur le plan professionnel tout les oppose (« C'est ce soir-là que j'ai appris que Siloé était travailleuse sociale. Forcément le sujet devient tout de suite moins léger. Elle avait 31 ans, et avait quitté il y a 5 ans son boulot de cadre dans une compagnie d'assurance pour se “sentir en vie” et “utile”. J'avais l'impression d'être un alpiniste tombé dans une crevasse. Comment remonter à la surface après ça ? »), les deux personnages entretiennent malgré tout une relation forte que l’on découvrira au fil du roman.
Une mise en abîme originale
Ce qui donne toute sa saveur à L’épaisseur du trait, c’est la mise en abyme que l’auteur introduit lorsque le narrateur découvre le monde de la prestidigitation à l’occasion d’une sortie organisée dans le cadre de son travail :
J'ai eu une sorte de déclic ou plutôt une impulsion aussi enfantine qu'un homme, devenu millionnaire, qui voudrait tout de suite posséder un château ou une Ferrari ou les deux, ou des trucs de ce genre. J'ai eu là, comme ça, envie d'apprendre la magie. […] Je voyais confusément dans cet apprentissage un vrai choix pour une activité inutile et potentiellement distrayante, à l'inverse de mon travail, absolument inutile lui aussi, mais de plus en plus ennuyeux.
Dès lors, la prestidigitation va offrir à Marceau une échappée belle et une occasion de se réinventer.
Morale de l’histoire : quitte à jeter de la poudre aux yeux, autant que ce soit divertissant et indolore pour la planète.
Pourquoi ce livre devrait plaire aux Alumni
Ce roman grinçant et bien construit ne manquera donc pas de séduire les amateurs d’ironie, de causticité et d’une certaine auto-dérision. De plus, il y a fort à parier qu’il résonnera auprès de nombre d’Alumni. Certains y verront peut-être aussi l’occasion de réfléchir à leur engagement professionnel. Ou pas. À tout le moins, l’on pourra tirer son chapeau à l’auteur pour sa capacité à manier sa plume comme un scalpel et à appuyer là où ça fait mal tout en faisant sourire et même rire son lecteur.

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