Antigone : toujours en scène et si contemporaine

Antigone, tragédie grecque écrite par Sophocle en 441 avant JC n’a cessé dés lors d’occuper le devant de la scène. Ce thème est universel. Il a fait de cette jeune femme une icône sous tous les cieux et à travers les siècles.

Dans la période d’incertitudes que nous vivons au niveau de la planète, comment nous inspire-t-elle et qu’est-ce qui nous touche dans son personnage ?

MA PREFERENCE A MOI (chanson de Julien Clerc qui sans le vouloir fait penser à Antigone)

Afin de donner une présence humaine au mythe, j ’ai choisi les trois auteurs qui me touchent dans leur façon de nous parler d’elle et de transmettre son message.

Deux le font en respectant les codes de la tragédie d’unité de lieu et de temps : Sophocle et Anouilh. Le troisième Henri Bauchau, écrit un roman et il en fera deux autres sur le thème d’Œdipe.

Sophocle, dont il ne nous reste que 7 pièces, vit à l’époque du siècle d’or d’Athènes celui de Périclès. 

Paradigme de la tragédie selon Aristote, il explore les ressorts psychologiques et les enjeux moraux de ses personnages, seuls face à leur destin. Il est crucial de noter qu’il est également un personnage politique, élu deux fois stratège à Athènes et donc en charge des affaires publiques, politiques et militaires de la démocratie.

Jean Anouilh écrit la pièce et la fait jouer en 1944 ce qui lui a conféré une lecture particulière. C’est avant tout une réinterprétation de Sophocle dans un langage familier où Anouilh annonce dés le début que nous sommes dans une tragédie et que tout est déjà joué.   Alea jacta est. Et pourtant, c’est aussi le seul texte où Créon, le roi, a presque convaincu Antigone de choisir la vie et ne donne pas une image implacable du pouvoir. 

Henry Bachau choisit d’écrire un roman et il racontera également « Œdipe sur la route » où Antigone sera présente. Romancier, poète et psychanalyste belge sa version est la plus développée et romancée.

Les protagonistes ont voix au chapitre : Ismène la sœur, Polynice et Etéocle les jumeaux qui se font la guerre pour le pouvoir à Thèbes, Hémon le fiancé et surtout le peuple de Thèbes et nombre de personnages qui n’existent pas chez Sophocle.

L’histoire d’Antigone :

Œdipe, son père a sauvé Thèbes en résolvant l’énigme du sphinx qui semait la terreur et en récompense il est devenu roi de Thèbes et a épousé la veuve de l’ancien roi Eurydice. Ils ont quatre enfants, les jumeaux Polynice et Etéocle et deux filles Ismène et Antigone. Œdipe consulte l’oracle à Delphes et découvre qu’il a tué son propre père, l’ancien roi Laïos et épousé sa mère. A l’annonce de cette nouvelle, celle-ci se pend dans sa chambre et Œdipe se crève les yeux de désespoir. Chassé de Thèbes il part seul hors des murs de la cité et sa fille Antigone, en marche vers son destin décide de l’accompagner sur les chemins rocailleux pendant dix ans de Thèbes à Colonna où il mourra.

Antigone prend alors une autre décision fatale, celle de retourner à Thèbes où ses frères luttent pour le pouvoir. Antigone essaie de jouer les médiatrices mais échoue et les deux frères s’entretuent.

Etéocle a droit à des funérailles dignes d’un héros et le corps Polynice est livré hors des murs aux charognes. Sans sépulture.

Antigone brave l’édit de Créon qui interdit de l’enterrer sous peine de mort et elle est condamnée à mort. Emmurée vivante dans une grotte. Hémon la rejoint dans la mort et la mère de celui ci se suicide à son tour de désespoir. Créon reste seul n’ayant pas voulu écouter le devin Tirésias de prononcer la clémence.

Quelles sont les explications possibles au statut d’icône d’Antigone à travers les siècles et les frontières, qu’est ce qui nous touche homme ou femme d’aujourd’hui ?

Antigone et l’apparence :

Antigone quelque soit les auteurs est une jeune femme androgyne, décrite comme maigrichonne, les cheveux en broussaille, trop grande et habillée sans recherche. Elle n’a rien de la princesse de sang royal aux magnifiques atours. Elle laisse ce rôle à sa sœur Ismène, incarnation de la féminité. L’apparence, l’image ne l’intéressent pas même si elle a un corps aguerri par dix ans de marche , d’équitation et de tir à l’arc . Dix ans à mendier pour survivre avec son père sans maison, sans lit et sans pain l’ont aguerri et centré sur l’essentiel. Elle a un détachement proche d’un moine bouddhiste ou d’un sâdhu indien avec sa sébile qui vont préparer leur éternité.

Son stoïcisme, sa résistance à l’épreuve lui donnent une authenticité et une sincérité qui lui accordent une crédibilité certaine face à l’imposture fréquente de l’image composée et recomposée.

Elle ne nous impose pas un code à suivre, un stéréotype mais laisse libre cours à notre imaginaire et à notre façon d’être au monde.

Antigone et la relation à l’autre ou la compassion :

Antigone est à l’écoute de chacun, disponible, sans préjugé de classe, de race et de condition physique et mentale ; elle accueille chacun avec bienveillance sans jugement. Sa vocation est de se dévouer, nourrissant les pauvres, soignant les malades, recueillant les mères seules avec leurs enfants dans la ville de Thèbes en guerre et affamée. Elle est entourée d’une équipe qui récolte les vivres, les achemine, les distribue, trouve les fonds nécessaires en allant elle-même mendier sur l’agora. N’est-ce pas proche de l’esprit des restaurants du cœur qui aujourd’hui sont plus sollicités que jamais et ne sommes-nous pas proches de la mission de Mère Thérèsa qui accomplit sa mission près des mourants et des plus démunis dans la banlieue de Calcutta.

Antigone : charisme et légitimité

Antigone sait s’affirmer pour défendre sa cause auprès des puissants avec un leadership affirmé lorsqu’elle veut se faire écouter et porter un message ; elle n’hésite pas à entrer dans la salle du Conseil, siège du pouvoir et interdit aux femmes ; elle s’impose et dit avec une autorité naturelle « je suis Antigone, la fille d’Œdipe, la sœur d’Etéocle. Mon frère m’a demandé de soigner les malades et les pauvres du faubourg et il faut de l’argent tout de suite. C’est la guerre qui se fait sans que vos le sachiez ».

En l’occurrence, elle s’estime légitime de se revendiquer de sa famille et son cri porte « une obscure espérance ». Elle récolte une somme inespérée de la part des puissants.

Elle reconnaît la légalité de Créon, le nouveau roi et notamment sa parole politique « celle que je n’ai jamais eue, celle que maintenant je refuse d’avoir ». Ce n’est pas son ambition. Elle souhaite incarner une autre sphère : celle de la résistance aux pouvoirs établis, usurpés, aux dictatures. Elle a été une forte source d’inspiration pour des milliers de femmes en Amérique latine qui se battaient pour récupérer les corps des disparus et les ensevelir dignement.

« Je ne refuse pas les lois de la cité, ce sont des lois pour les vivants, elles ne peuvent s’imposer aux morts ».

Antigone et la mort, ou comment devenir immortelle :

Antigone choisit la mort car elle ne veut pas s’accommoder d’un bonheur simple ; elle renonce au mariage et à être mère. « Ce non vient de bien plus loin que moi, c’est la plainte ou l’appel qui vient des ténèbres et des plus audacieuses lumières de l’histoire des femmes ». Antigone a fini son cycle sur terre, elle a franchi tous les états du moi des besoins fondamentaux essentiels, à la place dans la famille et la cité, elle a dépassé les croyances religieuses pour atteindre le plan spirituel.

Antigone aurait pu être sauvée par la foule, prête à s’opposer à sa mort, elle a refusé qu’on verse du sang pour elle. Elle entre dans la grotte, elle a peur du noir et des rats, elle refuse de tenir jusqu’à l’arrivée d’Hémon pour éviter une guerre parricide. Elle meurt étouffée par la fumée des torches qu’elle a allumées.

Antigone est définitivement une icône qui aide chacun à trouver sa voie et à rester solidaires et unis autour de valeurs essentielles ; elle en appelle à la responsabilité de chacun ; à chacun de choisir son chemin.

Annie Innocenti ( 1975) 

Coach de dirigeants , fondatrice de SIC : Share , Involve , Care