L'Opéra au salon : triangles amoureux au Met (programme du 30 mars au 5 avril 2021)
Triangles amoureux au Met
L’amour et la jalousie étant des ressorts classiques de l’opéra (et du soap opera), la belle sélection de cette semaine est donc nécessairement partielle, d’autres œuvres célèbres (Aïda, Idomeneo, Pelléas et Mélisande, … ) ou moins jouées (Il pirata de Bellini, Orfeo de Rossi, La Gioconda de Ponchielli, …) auraient pu y figurer. Elle offre néanmoins des trésors d’interprétation, de drame ou de comédie, et de musique.
Mardi 30 mars 2021
Bellini Norma
Avec Sondra Radvanovsky (Norma), Joyce DiDonato (Adalgisa), Joseph Calleja (Pollione) et Matthew Rose (Oroveso), sous la direction de Carlo Rizzi. Production de David McVicar. Représentation du 7 octobre 2017.
«Perfection de la tragédie» en disait Schopenhauer ! Norma est un sommet de l’art lyrique auxquels seules les plus grandes sopranos (Caballé, Sutherland, Scotto, …) ont pu vraiment se mesurer (Maria Callas a incarné 83 fois ce rôle). Il a aussi fait l’admiration de compositeurs aussi différents que Bizet et Wagner pour sa « mélodie infinie » et sa noblesse d’expression.
Rejetée par Pollione, pro-consul romain et père de ses enfants, en faveur d’une autre, Norma, Grande Prêtresse d'une tribu gauloise qui voudrait se soulever contre l'occupant, est confrontée à de multiples dilemmes.
Un très beau plateau vocal avec des chanteurs investis dans leurs rôles, une production traditionnelle, c'est-à-dire sans recontextualisation ou réinterprétation, visuellement riche, un orchestre et un chœur en belle forme font de cette représentation de ce fleuron du bel canto, trop rarement donné faute de chanteurs ayant la capacité de le faire, un spectacle à ne pas manquer.
Mercredi 31 mars 2021
Strauss Capriccio
Avec Renée Fleming (Comtesse Madeleine), Sarah Connolly (Clairon, actrice), Joseph Kaiser (Flamand, le Compositeur), Russell Braun (Olivier, le poète), Morten Frank Larsen (le Comte, frère de Madeleine) et Peter Rose (La Roche, directeur de théâtre), sous la direction d’Andrew Davis. Production de John Cox. Représentation du 23 avril 2011.
L’anniversaire de la comtesse Madeleine est le prétexte de cette « conversation en musique en un acte » dernier opéra de Strauss (octobre 1942) qui est aussi la métaphore suprêmement élégante et sophistiquée de l’opéra : « prima la parole, dopo la musica » ou l’inverse ? Ce séduisant testament lyrique renferme comme un écrin « une scène, la finale, qui fait oublier toutes les autres » (Michel Schneider).
Courtisée par un poète et un compositeur vantant chacun leur art, Madeleine ne voit finalement de solution que dans la synthèse de ces deux arts et du théâtre : l’opéra …
Recréée au Met pour Renée Fleming, qui est, avec Elisabeth Schwartzkopf, une des plus grandes comtesses modernes et une immense straussienne, cette production bénéficie d’une superbe distribution, d’une mise en scène élégante et efficace, de décors et costumes raffinés des années 20 et d’une critique unanime !
Un pur joyau pour amoureux d’opéra.
Jeudi 1er avril 2021
Donizetti Roberto Devereux
Avec Sondra Radvanovsky (Elisabeth I), Elīna Garanča (Sara), Matthew Polenzani (Roberto Devereux) et Mariusz Kwiecień (Nottingham), sous la direction de Maurizio Benini. Production de David McVicar. Représentation du 16 avril 2016.
«Ce sera l’opéra de mes émotions» (Donizetti). Souvent comparé à la Norma de Bellini pour sa virtuosité et sa maîtrise dans l’écriture mélodique, ce dernier volet de la trilogie des Tudor (Anna Bolena, Maria Stuarda) offre un extraordinaire écrin musical à la confrontation des passions personnelles et des devoirs publics d’une reine Elisabeth I outragée par l’amour de son favori, Roberto Devereux, pour une «autre femme » dont elle ne découvre l’identité qu’à la fin.
Sondra Radvanovsky est «La» reine, extraordinaire de bout en bout jusqu’à un acte final bouleversant. Le reste de la distribution est idéal avec des chanteurs, tous excellents, qui s’investissent pleinement dans leur rôle et bien dirigés par David McVicar qui signe une production « historisante » visuellement splendide (décor unique de salle de palais et somptueux costumes).
Vendredi 2 avril 2021
Verdi Il Trovatore (le Trouvère)
Avec Eva Marton (Leonora), Dolora Zajick (Azucena), Luciano Pavarotti (Manrico), Sherrill Milnes (Comte di Luna) et Jeffrey Wells (Ferrando), sous la direction de James Levine. Production de Fabrizio Melano. Représentation du 15 octobre 1988.
Une enfilade d’airs (dont le célébrissime Di quella pira) et de chœurs connus, chantés par quelques chanteurs légendaire (Pavarotti) ou renommés de cette période (Milnes, Marton) offrent, malgré une mise en scène qui a un peu vieillie, une belle occasion pour découvrir ou revoir, et surtout écouter, un des plus populaires classiques verdiens. Ceux qui ont vu la version Netrebko, Lee, Hvorodovsky (2015) proposée fin février pourrons les comparer. Dolora Zajick débute dans le rôle d'Azucena, où elle deviendra incontournable pendant 27 ans …
Samedi 3 avril 2021
Massenet Werther
Avec Lisette Oropesa (Sophie), Sophie Koch (Charlotte), Jonas Kaufmann (Werther) et David Bizic (Albert), sous la direction d’Alain Altinoglu. Production de Richard Eyre. Représentation du 15 mars 2013.
Compositeur essentiel du romantisme français, encensé par de nombreux artistes (Proust, Saint-Saëns, Poulenc), Massenet produit ici, à partir d'une œuvre phare du Sturm und Drang (mouvement pré-romantique allemand), les Souffrances du jeune Werther de Goethe, son propre chef d'œuvre.
Tragédie d'un amour impossible entre le rêveur Werther et Charlotte, promise au réaliste Albert qu'elle épouse, alors qu'elle continue à aimer le poète.
Jonas Kaufmann, acteur consommé, a la voix idéale et le physique du rôle qu'il incarne de bout en bout d'une manière bouleversante, alliant diction parfaite et art des diminuendi. Il est accompagné de sa complice Sophie Koch (Paris et Vienne), elle aussi remarquable de chant, de finesse et de sincérité, et leur chimie est totale (duo final poignant). Les autres rôles sont tout aussi bien tenus.
Des airs superbes, des acteurs au zénith, une mise en scène séduisante utilisant habilement la vidéo, une direction musicale souple, texturée et nuancée pour un des grands classiques français : un must !
Dimanche 4 avril 2021
Donizetti L’Elisir d’Amore
Avec Anna Netrebko (Adina), Matthew Polenzani (Nemorino), Mariusz Kwiecień (Belcore) et Ambrogio Maestri (Dulcamara), sous la direction de Maurizio Benini. Production de Bartlett Sher. Représentation du 13 octobre 2012.
Donizetti signe ici, sur un livret de Scribe, un des fleurons de l'opéra-bouffe avec une musique pleine d'élans, de vivacité et de contraste et une certaine épaisseur psychologique rare dans ce genre.
Nemorino, jeune paysan est amoureux de la riche, belle et cultivée (elle lit Tristan et Iseult sans y croire) Adina, qui se moque de lui. L'arrivée du sergent Belcore, qui prend d'assaut la belle, et celle du Dr Dulcamara, charlatan ambulant qui propose le remède idéal à tous les maux, changent complètement la donne et vont permettre à la situation et aux personnages d'évoluer.
Conçue par Bartlett Sher, producteur adoré de Broadway, cette version est parfaitement cohérente avec la double dimension (bouffe et sentiments profonds) de cet opéra endiablé.
Le quatuor de chanteurs est magnifique, chacun magnifiant son personnage. Les chœurs et l'orchestre sont superbes. Idéal pour un regain d'énergie ou pour le plaisir!
Lundi 5 avril 2021
Wagner Tristan und Isolde
Avec Nina Stemme (Isolde), Ekaterina Gubanova (Brangäne, suivante d'Isolde), Stuart Skelton (Tristan), Evgeny Nikitin (Kurwenal) et René Pape (Roi Marke), sous la direction de Simon Rattle. Production de Mariusz Treliński. Représentation du 8 Octobre 2016.
S'inspirant de la légende celtique de Tristan et Yseult, Wagner, librettiste, en a extrait les principaux épisodes pour en faire ce "récit d'une passion tragique sublimée dans la mort qui se déroule dans le flot et les palpitations d'une musique immortelle" (Kobbé).
Tristan ramène la princesse irlandaise Isolde en Cornouailles pour qu'elle épouse son oncle, le roi Marke son quasi-père. S'aimant auparavant, la prise d'un philtre d'amour, substitué par Brangäne à un philtre de mort, exacerbe leurs sentiments et les conduit à se revoir, de nuit, avant qu'un amoureux secret d'Isolde ne les trahisse ...
Si cette production du Met et ses choix (contexte de guerre, navire de guerre, enfance de Tristan, ...), en dehors des canons traditionnels d'une Maison historiquement conservatrice, ont suscité beaucoup de critiques, dans les deux sens, l'extraordinaire prestation de Nina Stemme, probablement la plus grande Isolde du moment, celles excellentes de Stuart Skelton et des autres chanteurs d'une part et d'un orchestre sous la baguette de Simon Rattle d'autre part ont recueilli à juste titre tous les suffrages. Et puis la musique, souvent aux extrêmes du langage musical de son temps, est tellement belle et souvent extatique avec, entre autres, un des plus sublimes duos d'amour jamais mis en musique, une mort de Tristan, dont Kobbé disait qu'"il n'y a pas de scène plus profondément désespérée dans toute l'histoire de la Musique" et enfin un Liebestod (mort d'amour) final …
Pour découvrir ou revoir ou, au pire, simplement réentendre, un des sommets de l'opéra dans une grande version au moins audio …
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Les spectacles sont accessibles en cliquant, le jour indiqué, sur le titre de l’œuvre, à l'heure de votre choix.
Belles soirées (ou matinées) lyriques
Jean-François Bourdeaux
Président du Club Opéra
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