Nous nous retrouvons vendredi 15 décembre 2023 à l’Opéra-Comique (salle Favart) à 19h30 pour découvrir cet opéra-comique atypique pour Jacques Offenbach, redécouvert en 2013, qui prolonge « la tonalité douce-amère de la Périchole » (Bilodeau) et annonce l’ultime chef-d’œuvre, fantastique, des Contes d’Hoffmann.
Jacques Offenbach (1819-1880), né à Cologne dans une modeste famille juive, formé par son père, fait montre très tôt de réels dons pour le violoncelle. Son père l’emmène à 14 ans à Paris, capitale culturelle de l’Europe où il est admis au Conservatoire, par exception à la règle qui impose d’être français, il sera naturalisé en 1860 par Napoléon III, et sera du côté français pendant la guerre de 1870. Il quitte le Conservatoire au bout d’un an pour s’engager comme violoncelliste au futur Opéra-Comique, 2ème scène lyrique parisienne. Cela lui permet de se familiariser avec ce répertoire particulier et lui donnera plus tard envie d’y présenter des œuvres et d’y réussir.
Jeune dandy romantique, il cherche, comme beaucoup d’artistes, la notoriété et les revenus qu’elle procure. Le « Liszt du violoncelle » se produit ainsi dans les salons parisiens, devient chef d’orchestre à la Comédie Française et, se voyant longtemps refuser l’accès de l’Opéra-Comique pour ses œuvres, va jusqu’à créer et diriger le théâtre des Bouffes-Parisiens où il recevra, montera et jouera une cinquantaine d’opérettes.
Travailleur acharné, il compose 90 opérettes, opéras-bouffes ou « bouffonneries musicales ». « Le petit Mozart des Champs-Elysées » (Rossini) a incarné comme nul autre l’esprit léger et la joie de vivre du Second Empire, sachant répondre à un public avide de plaisirs et de dérision. Il est même devenu le père international du « lyrique léger » au XIXè siècle, initiateur des opérettes viennoises et anglaises.
Influencé par Rossini et Mozart, il invente l’opéra-bouffe français sous-tendu par une composition musicale des plus abouties et digne des grands maîtres de l’opéra. Si les opéras bouffes d’Offenbach sont le plus souvent des opéras satiriques à l’humour débridé dirigées contre les institutions du Second Empire, Fantasio, sa quatrième tentative d’opéra-comique pour la scène du même nom, est, elle, dans une veine singulière, reflet d’un livret très atypique.
Alfred de Musset a moins de vingt-cinq ans quand il écrit Fantasio, une comédie en deux actes, moins destinée à être montée sur scène qu’à être lue, et publiée dans « Un spectacle dans un fauteuil » (1834). Après l’échec de la Nuit vénitienne, il invente ainsi un théâtre onirique et personnel. Incertitude de temps, de lieu et d’action pousse ainsi le lecteur à rêver et à imaginer les tableaux très animés issus de l’imagination de Fantasio, les exigences de la dramaturgie classique étant, elles, peu respectées.
C’est de cette pièce, issue de la fantaisie d’un frère admiré, que s’empare Paul de Musset. Plus de trente ans après sa publication (1866), et bien qu’elle soit peu propice à la scène, il veut la faire représenter à la Comédie-Française. Pour cela, il en modifie l’architecture et crée une intrigue afin de la transformer en une pièce à jouer et à voir. Cette version scénique lui sert de base, avec ses co-librettistes, Charles Nuitter, Camille du Locle, et peut-être Alexandre Dumas fils, pour la nouvelle tentative d’Offenbach de réussir sur une scène officielle, ces trois précédentes ayant échoué. L’opéra, contrairement à la pièce, se termine sur un acte de paix et une possibilité d’amour, touche d’un Offenbach meurtri par le conflit entre son pays de naissance et celui qu’il a choisi.
Sur cette vision presque hofmannienne, et proche de ses propres sensibilités, Offenbach construit une partition plus sérieuse que de coutume ou que ce que l’on pourrait imaginer : un bouffon du roi qui, malgré sa fonction, ne fait pas vraiment rire aux éclats. S’y mêlent frénésie bouffonne, mélancolie, rythme et instrumentation raffinée et délicate qui traduisent l’humeur bipolaire tant de Fantasio-Musset que de Fantasio-Offenbach. Fantasio annonce ainsi le grand chef d’œuvre posthume d’Offenbach, les Contes d’Hoffmann, qui reprendra certaines de ses pages.
Pour Thomas Jolly, le metteur en scène, « Fantasio est un conte, à mi-chemin entre le merveilleux et le macabre. La lumière et son utilisation seront au service de cette imagerie ». Il l’inscrit dans une « mise en scène atemporelle et délocalisée » pour « garder un onirisme visuel parce qu’il permet la projection » cherchant ainsi à répondre aux exigences de l’œuvre.
Fantasio, opéra-comique en trois actes et quatre tableaux, créé le 18 janvier 1872 à l’Opéra-Comique, scène officielle, avec une distribution de haut niveau, est cependant retiré après dix représentations seulement, victime d’une cabale anti-offenbachienne. Au lendemain de la défaite infamante face à la Prusse, on lui reproche tout à la fois ses origines allemandes et sa proximité avec le Second Empire, cause de cette défaite, mais surtout, une omniprésence, un « accaparement », dans les théâtres lyriques, le Roi Carotte ayant été créé trois jours avant à la Gaîté, quand ses œuvres étaient encore à l’affiche aux Bouffes-Parisiens, Boule de Neige, ou en répétition aux Variété, Le Corsaire noir. Dès le mois suivant, la pièce est produite, après des adaptations, à Vienne, où elle rencontre le succès, « l’un des plus grands qu’Offenbach ait remportés sur une scène viennoise » selon un chroniqueur de l’époque.
La partition française a disparu lors de l’incendie de l’Opéra-Comique en 1887 et n’a été complètement reconstituée en France qu’en 2013 à la suite d’un travail de détective pour retrouver les pages dispersées par le monde. Cette version parisienne a fait l’objet de la présentation de l’Opéra-Comique donnée en 2017 au Théâtre du Châtelet où elle connut un très grand succès. C’est la même mise en scène de Thomas Jolly qui est proposée pour notre sortie.
Argument
Résumé
En Bavière à Munich, à une période non déterminée, le roi prépare le mariage de sa fille, la princesse Elsbeth, avec le prince de Mantoue pour sceller la paix entre les deux Etats. Fantasio, un jeune bourgeois plein de spleen, jure d’aider la jeune fille, dont il est tombé amoureux en l’écoutant chanter, à compromettre ce mariage. La mort du bouffon du roi lui en fournit l’occasion.
Acte I une place publique, d’un côté les abords du palais, de l’autre un cabaret, au soleil couchant
Une foule animée chante ses vivats : la princesse Elsbeth, fille du roi de Bavière, et le prince de Mantoue doivent se marier et ainsi terminer toute velléité de guerre entre les deux pays ! Menés par l’un des leurs, Sparck, des étudiant les rejoignent et entonnent une chanson joyeuse promettant chants et bruit toute la nuit. Le roi incite lui aussi tout le monde aux réjouissances et annonce l’arrivée du prince étranger, non s’en inquiéter de n’avoir vu sa fille, qu’il va sacrifier sur l’autel de la raison d’Etat. Son secrétaire attribue néanmoins la mélancolie de la princesse à la mort toute récente du bouffon Saint-Jean qu’elle affectionnait …
Un Italien de passage, Marinoni, l’aide de camp du prince de Mantoue, déguisé, interroge les étudiants sur le motif des festivités et, incidemment sur la princesse, puis disparaît. Arrive alors Fantasio qui chante une envoûtante Ballade à la Lune (« Voyez dans la nuit brune »), sur un poème de Musset, sans se soucier de quiconque. Fuyant ses créanciers, il n’a pas l’esprit à faire la fête mais finit néanmoins par accepter le verre proposé par ses camarades.
Un page, Flamel, vient demander à la joyeuse petite bande d’aller plus loin, la princesse Elsbeth allant venir sur la terrasse au-dessus d’eux. Fantasio se cache pour écouter sa romance mélancolique sur le mariage d’Etat prévu et l’amour (« Voilà toute la ville en fête »). Troublé, il y répond par une mélodie « Moi, pour un peu d’amour, je donnerais mes jours » qu’Elsbeth reprend après lui (duo) avant de repartir avec sa servante. Fantasio la regarde s’éloigner, se montre rêveur et indécis devant Sparck de retour de l’auberge.
Des pénitents entament un chant funéraire louant Saint-Jean, le bouffon du roi, « Grand Docteur en plaisanterie » qui vient de décéder (« Ô Saint-Jean »). Son poste étant vacant, Fantasio, un peu gris, décide de l’occuper et se rend chez le tailleur.
Marinoni rend compte de sa mission au prince de Mantoue. Celui-ci décide alors de troquer leurs rôles pour voir lui-même la promise sans qu’elle sache qui il est (duo comique « Je médite un projet d’importance ! »).
Les étudiants chantent la nuit, propice aux rendez-vous amoureux (Tout bruit cesse). Ils s’étonnent de l’absence de Fantasio, Sparck leur annonce le retour de Saint-Jean, les fous ne meurent pas, avant d’entonner la Chanson des fous que ses camarades reprennent (Finale : le sort des fous est agréable) … Saint-Jean ressuscité leur paraît alors ! Hartmann, l’un des étudiants, reconnaît tout de suite Fantasio, qui lui se déclare en partance pour le Palais : Moi qui ne peux coucher chez moi, Je m’en vais coucher chez le roi !
Acte II dans les jardins du palais
Des pages chantent le mariage prochain de « l’enfant couronnée » (Chœur : Quand l’ombre des arbres). Elsbeth, elle, une larme à l’œil, s’interroge tristement sur son sort avant d’essayer de reprendre contenance (Air Ah ! dans son cœur qui donc peut lire ?) et de regretter Saint-Jean devant la page Flamel.
Ils sont bientôt rejoints par Marinoni, déguisé en prince, par le prince, déguisé en valet, et par le roi (Quintette : Oui, c’est bien lui chère princesse !). Elsbeth est déçue par les manières du faux prince, et le roi par celles du faux aide de camp dont il demande le renvoi. Celui-ci a en effet bien du mal à tenir son rôle… Le prince finit par prendre conscience qu’il ne pourra séduire Elsbeth sous ses traits présents et être ainsi aimé pour lui-même. Rejoint par Marinoni, il fait un point avec lui sur leur plan infructueux, propose d’arrêter puis revient sur sa décision, chacun gardant finalement son déguisement.
Fantasio se félicite d’avoir enfilé le costume de bouffon qui lui permet d’aller et de venir comme bon lui semble et d’échapper aussi à ses créanciers. Il aperçoit la princesse, qui essaye sa robe de mariage en essuyant ses larmes. Face aux reproches qu’elle lui fait de parodier Saint-Jean qu’elle aimait tant, il se présente comme le nouveau bouffon venu cueillir des fleurs (« C’est le nouveau bouffon du roi »). Faisant allusion, par le langage des fleurs, à l’amour et au contrat de mariage, Fantasio finit par redonner espoir àElsbeth en promettant qu’il romprait le mariage (duo Je n’ai donc rien de plus pour consoler mon cœur !). Flamel arrive révélant que le prince n’est pas le prince et que celui-ci se cache incognito parmi les aides de camp !
Tout le monde se réjouit en chantant (« C’est aujourd’hui fête à la cour »), le prince-aide de camp continue à ne pas tenir son rang et à parler en même temps que Marinoni (Taisez-vous aide de camp !) qui, lui, finit par se lancer dans un discours politique fumeux. Fantasio en profite pour le dépouiller de sa perruque au grand scandale de tous (« Ah grands dieux ! ») et s’acquitter ainsi de sa promesse à Elsbeth de rompre son mariage (Le sort capricieux de nos destins se joue). Le prince demande sa mort, le roi l’envoie en prison.
Acte III
1er tableau une prison
Dans sa cellule, Fantasio, réjoui, fait le point de la situation. Persuadé qu’Elsbeth viendra, en entendant un bruit, il feint de dormir. La princesse démarre une romance (« Psyché pauvre imprudente ») qui « réveille » Fantasio, « surpris » par cette visite. Elle regrette que son sacrifice ait été inutile, refuser à son père ne lui étant pas possible puisqu’il en est du bonheur de son peuple. Fantasio, retirant bosse et costume, lui révèle qui il est (duo « Il n’est qu’un refrain à chanter ») et obtient de la princesse l’aveu de son amour. Flamel les interrompt venant chercher la princesse que son père demande. Fantasio berne le Suisse de garde et quitte la prison avec le page et la princesse. Elle lui donne la clef des jardins en lui soufflant : tu reviendras ?
2ème tableau La place devant le palais royal
Très énervé par l’affront subi, une perruque royale accrochée à une branche, le prince demande de nouveau à Marinoni de lui rendre son habit (« Reprenez cet habit mon prince ») mais se ravise encore une fois, préférant rendre visite au roi dans sa tenue actuelle.
Les rumeurs d’une guerre et d’éventuels projets du prince inquiètent les étudiant. Sparck, faisant de Fantasio un chef, promeut dès lors sa libération auprès de la foule (« Sous ta bannière on se rallie »). Fantasio apparaît et, face à une foule qui dit vouloir la guerre, l’exhorte à la paix et, au lieu de donner la mort, de donner la vie.
En l’honneur de Fantasio, ses amis célèbrent le triomphe de la folie. Au prince qui quitte le palais jurant au roi qu’ils se reverront au sein de nos armées, Fantasio rétorque que le roi et le prince se battent entre eux, et, à défaut, qu’ils fassent la paix ! Le prince y consent, Fantasio est anobli des deux côtés et … Elsbeth lui laisse la clef qu’elle lui avait donnée et qu’il voulait lui rendre. Les étudiants concluent en célébrant le triomphe de la folie.
Les principaux personnages et leurs voix
- Fantasio : jeune bourgeois munichois, poursuivi par ses créanciers, poète, rêveur désabusé, contemplatif, irrévérencieux (mezzo-soprano- rôle dit de pantalon).
- Le roi de Bavière : aime sa fille mais veut le bonheur de son peuple et est prêt à la donner en mariage à cette fin (basse).
- La princesse Elsbeth : sa fille, 16 ans et romantique, à qui on destine le prince de Mantoue pour des raisons politiques (soprano).
- Le prince de Mantoue : le mari choisi pour Elsbeth pour assurer la paix entre les deux peuples (baryton).
- Marinoni : colonel, aide de camp du prince (ténor).
- Sparck : un étudiant (basse-baryton)
- Hartmann : un étudiant (basse)
- Flamel : un page à la cour de Bavière (mezzo-soprano).
Discographie
D’une discographie réduite à quatre versions se détache :
- Mark Elder (dir): Sarah Connolly (Fantasio), Brindley Sheratt (roi de Bavière), Breda Rae (princesse Elsbeth), Russell Braun (prince de Mantoue), Robert Murray (Marinoni), Neal Davies (Sparck) –Orch of the Age of enlightment / orchestre du Siècle des Lumières- Royal Festival Hall -version concert- - 2014- Opera Rara : premier enregistrement mondial de la version révisée, superbes voix au chant, plus difficile dans les dialogues (non francophones), version de référence primée en 2015 (International Opera Awards – meilleur CD en catégorie opéra complet).
Streaming
La seule production filmée, création au Théâtre du Châtelet pendant les travaux à Favart de la version que nous verrons avec une distribution différente :
- Laurent Campellone (dir), Thomas Jolly (mes): Marianne Crebassa (Fantasio), Franck Leguérinel (roi de Bavière), Marie-Eve Munger (princesse Elsbeth), Jean-Sébastien Bou (prince de Mantoue), Loïc Félix (Marinoni), Philippe Estèphe (Sparck) –Orch Philharmonique de Radio-France – théâtre du Châtelet (prod. Opéra-Comique) - 2017 YouTube
Bibliographie
- Jean-Claude Yon : Jacques Offenbach. NRF-Gallimard 2000. La somme en français par le plus grand spécialiste du compositeur.
- Jean-Philippe Biojout : Jacques Offenbach, coll. Horizons Bleu Nuit Editeur, 2018. Dans la lignée de cette collection, une synthèse biographique d’abord facile, truffée d’anecdotes et d’informations détaillées sur les compositions, le tout illustré en moins de 180 pages, pour découvrir Offenbach.
- Louis Bilodeau : Jacques Offenbach, mode d’emploi, Avant-Scène Opéra, 2019. Une autre belle synthèse plus tournée vers les œuvres en 222p.
- Avant-scène Opéra n°336 : Fantasio, 2023. Numéro sorti à l’occasion de cette production, avec l’habituel guide d’écoute et quelques articles de fond.
Bonne lecture et bonne écoute
Jean-François Bourdeaux
Club Opéra
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