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Ouverture de l'Ecole du Management et de l'Innovation

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17/01/2017

 

Sciences Po : interview des doyens de la nouvelle école

L'annonce de la création de l’École du management et de l’innovation a eu lieu le 3 octobre 2016. Elle devrait accueillir 1 200 étudiants lors de son ouverture à la rentrée 2017. Rencontre avec les deux doyens de cette école, Benoît Thieulin, entrepreneur et directeur de La Netscouade (Promo 95), et Marie-Laure Djelic, professeure des Universités au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po.

Racontez-nous la genèse de ce projet d’école.

Benoît Thieulin : L'idée était dans l'air du temps. Depuis longtemps, Sciences Po prépare beaucoup plus qu'on ne le pense aux métiers de l’entreprise, mais les différentes formations n'étaient jusqu’alors pas regroupées dans une même école. Frédéric Mion a décidé, début 2016, de créer un comité de préfiguration – dont le président a été Alexandre Bompard, président de la FNAC, entouré d’autres personnalités du monde l’entreprise – afin de réfléchir à la création d'une école de l’entreprise à Sciences Po. L'objectif étant de rendre plus lisible l'offre déjà existante, mais également de construire une dynamique pour former de nouvelles élites économiques.

Marie-Laure Djelic : Notre projet est de construire une « management school » avec un ADN Sciences Po fort. Nous souhaitons nous différencier des « business school » classiques que sont, en France, ESSEC ou HEC – nous voulons que nos futurs étudiants aient une compréhension de la complexité des enjeux économiques et de leur étroite interaction avec les enjeux écologiques, technologiques, politiques, sociaux et géopolitiques.  

Pour définir l’école du management et de l’innovation, vous avez d’ailleurs imaginé un slogan: les « 3 C ».  Le premier C est celui de « complexité ». Quid des autres ?

M-L D : Le deuxième est celui de créativité car nous voulons développer une culture de l’innovation et de la créativité, un esprit critique, une capacité de recul chez nos étudiants – autant d’outils devant leur permettre d’apporter des réponses aux questions urgentes de demain. Le troisième « C », tout à fait en lien avec l'esprit Sciences Po, est le C de commun, pour « bien commun ». Au-delà de la création de valeur pour l'actionnaire, l'entreprise se doit aujourd’hui d’être un partenaire actif face aux défis du bien commun. Nous allons déployer ces 3 C comme une culture structurante de l’École à travers des expériences et des enseignements qui seront communs à tous nos masters spécialisés. Pour ce faire, nous allons mobiliser les ressources vives de Sciences Po – et en particulier sa faculté en sciences humaines et sociales. Le cours commun du premier semestre nous permettra de planter le décor – six séances sur l’histoire de l’innovation et ses développements digitaux récents (le sociologue Dominique Cardon) ; quatre séances sur les interactions entre entreprises et société et leur évolution historique (Marie-Laure Djelic) ; et deux séances sur des enjeux contemporains brûlants – crises écologiques et développement sans croissance (l’économiste Eloi Laurent).   


Est-ce une forme de réhabilitation des cours magistraux dans les masters professionnalisants ?

BT : La tradition des cours sur les grands enjeux nous tenaient à cœur. Ce d'autant plus que les étudiants qui arrivent directement en master à Sciences Po n'en ont pas bénéficié. Et puis, nous sommes dans un contexte qui l’exige : on est empêtré dans une crise économique dont nous ne voyons pas le bout, crise qui se traduit en crise sociale et politique un peu partout dans le monde. Quelque chose s'est déréglé et l'économie, dont la place est devenue absolument gigantesque dans notre société, ne peut plus être pilotée comme elle l’était avant. Quand Sciences Po a été fondée, au lendemain de la défaite de la guerre de 1870, on a réalisé en France qu'il y avait un problème dans la formation de nos élites politiques et publiques. Là, on est exactement au même moment, si ce n’est que cela ne repose plus sur nos élites politiques et publiques mais sur nos élites économiques.

M-L D : Cela fait 40 ans que l'on croit que l'économie et la technologie sont des phénomènes naturels, émergeants, presque transcendants, sur lesquels on n'a aucune prise. Alors qu'ils ne le sont pas et surtout qu'on ne doit pas s’en laisser convaincre ! La formation des leaders économiques sur les 20 ou 30 dernières années, essentiellement dans les business schools, s'est faite sans déployer une vraie vision des modèles de leadership dont le monde a besoin et du rôle que l’on souhaitait qu’ils aient dans la société. Il y a eu un engouement pour ces formations en management sans que soient vraiment pensées les compétences des individus formés… et leurs non-compétences. Après la crise de 2007-2008 – moment où, en tant que professeur dans une business school, j'ai vraiment pris conscience des limites de notre modèle de formation – ont été créées, ici ou là, quelques cours de « responsabilité sociétale des entreprises » (RSE), mais il n'y a pas eu de remise en cause profonde. À Sciences Po, nous avons les ressources intellectuelles pour aller plus loin – les futurs diplômés mais aussi les entreprises sont en attente d’un tel changement.


Cette réflexion est-elle en cours dans d’autres universités, peut-être à l’étranger?

MD : Oui bien sûr. Et nous allons tisser des partenariats avec les universités et les écoles qui portent des projets compatibles. On les trouve beaucoup en Europe. En Asie, la dynamique se trouve plus au Japon qu'en Chine. Les choses commencent à bouger aux États-Unis et bien sûr au Canada. Il nous faut aussi explorer l’Asie. Il est essentiel que nous ne soyons pas seuls dans cette aventure – car il s’agit de former une nouvelle génération de leaders économiques au-delà des frontières nationales.

BT : Dans le nouveau cycle d'innovation extrêmement puissant dans lequel nous sommes, l’un des enjeux majeurs est également de connecter les sciences dures et les sciences humaines. Nous allons proposer à nos étudiants des cours d’initiation aux méthodes agiles, de compréhension d’un algorithme, tout cela va infuser une culture scientifique et technique à nos étudiants qui auront également un socle solide de sciences humaines et sociales. C'est un cocktail extrêmement puissant dans un monde où a lieu une redistribution des cartes permanente, où l'on a besoin de leaders économiques qui pensent « out of the box » ! Nombre de nos enseignements seront frappés par une obsolescence rapide d'où l’importance de donner des clés de compréhension du monde. La capacité qu'on a à travailler avec l'autre est presque plus importante aujourd'hui que le savoir qu'on a.

Qu’imaginez-vous pour le futur de vos étudiants à la sortie de cette école ?

BT : Il n'est pas complètement anodin que ce soit à Sciences Po que l'on se préoccupe, avant les autres, de former de bons techniciens avec une vision sociale et politique, une conscience écologique, éthique, bref qui aient une vision élargie de leur responsabilité. Moi, si j'ai voulu faire Sciences po, il y a 30 ans, c'est parce que je voulais changer le monde. À l'époque, les leviers étaient politiques. Une des réponses de cette école du management et de l'innovation est qu'il faut toujours venir à Sciences po pour penser ce changement, mais que le levier n'est plus simplement politique mais économique et social.

 

Propos recueillis par Elisa Mignot (promo 08)

 

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