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Portrait - Olivier Duhamel, en son for extérieur

L'Association

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04/12/2016

Le constitutionnaliste Olivier Duhamel est devenu président de la Fondation nationale des sciences politiques en mai dernier. Entre chaleur et retenue, ce professeur émérite, compagnon de la rue Saint-Guillaume depuis trois décennies, s’est prêté à l’exercice du portrait. 

Un bracelet en cuivre enroule son poignet bronzé. Il sourit, amusé qu’on le remarque et il lâche, comme une première concession à la discrétion à laquelle il s’était pourtant résolu : « C’est mon Jiminy Cricket. Surtout depuis que je suis président de la Fondation. » Apparition incongrue du grillon, bonne conscience en costume trois-pièces de Pinocchio, dans le bureau à la moquette crémeuse. « Par rapport à certains codes de notre société, mon surmoi peut se montrer légèrement insuffisant, poursuit-il. Dans ces cas-là, je ressers le bracelet, ce qui me rappelle que, dans certaines fonctions, il y a des choses que l’on ne doit pas dire. » Olivier Duhamel n’est pas méfiant, disons qu’il est prudent. Il a volontiers égrené les numéros de quelques proches qui ont accepté de raconter l’homme et l’ami qu’il est, mais parler de lui, pas très envie. Quelques Davidoff et cafés sans sucre plus tard, le plastron pourtant s’attendrit. Le juriste de 66 ans à la chevelure grise dorée ne peut pas franchement résister à son penchant naturel pour la convivialité et la discussion. Peut-être est-ce d’ailleurs par là qu’il faut commencer par décrire ce constitutionnaliste, politologue, professeur, éditeur, avocat et homme de médias au curriculum vitæ luxuriant.

« Vivant avant tout et incroyablement chaleureux », avait prévenu Nadia Marik qui l’a d’abord croisé dans des conseils d’administration de Sciences Po puis, souvent aux côtés de Richard Descoings dont il était très proche. « Un ami hors norme, continue-t-elle, toujours vigilant avec ceux qu’il aime. » « Il ne se confie pas aisément mais quand on se connaît bien, on peut avoir avec lui une relation vraiment intime et des conversations très profondes, ajoute l’avocat Jean Veil qui le côtoie depuis l’adolescence. Et comme il donne beaucoup, il reçoit beaucoup. » Déjeuners, rendez-vous, vacances, cadeaux, textos, petits mots, Olivier Duhamel chérit les rituels amicaux, les traditions et les marques d’attention. « Il me les a appris », confie la journaliste et professeure Géraldine Muhlmann avec qui ils sont « tombés en amitié » il y a près de 10 ans. « J’ai une passion pour l’amitié, reconnaît le principal intéressé. C’est une très belle vertu. Je regrette d’ailleurs beaucoup que l’on dise “faire l’amour” mais pas “faire l’amitié”. »

Olivier Duhamel s’est ainsi constitué une famille choisie, nombreuse et fidèle qu’avec sa femme Evelyne Pisier, il réunit régulièrement dans sa maison de Sanary où il passe fins de semaine et mois d'été. Un jardin secret et accueillant décrit par tous comme un petit paradis où l’on joue au tarot et à la pétanque, où l’on vit dans un chahut d’enfants, de rires, de jeux et de démonstrations aussi brillantes que tout terrain, jusqu’à des heures indues. « Olivier, c’est un chef de bande, son charisme fait que les gens s’agrègent autour de lui ! remarque Jean Veil qui, avant de l'associer à son cabinet en droit des affaires, a passé moult vacances avec femme et enfants chez son ami. Il sait provoquer les débats, les conversations. Il crée un climat qui suscite chez ses interlocuteurs ce qu’ils ont de meilleur. Résultat : il n’a pas d’amis taiseux ! Tous dans leurs domaines, des médias au droit en passant par le politique, sont des gens connus et reconnus dans leur spécialité. »



Le répertoire du président de la FNSP est un Who’s who éclectique où se frayent d’éminents penseurs avec d’anciens élèves, le gratin politique et le gotha médiatique, des noms qui clignotent, d’autres plus confidentiels qui souvent, en coulisses, ont inspiré la vie de la cité. Les frontières sont volontiers poreuses entre ces mondes professionnel et privé. Olivier Duhamel a toujours eu le chic pour embarquer ceux qui l'entourent dans des aventures intellectuelles. Notamment à la revue Pouvoirs qu'il a cocréée en 1977 et/ou dans la collection « À savoir » qu'il dirige avec sa femme, depuis 2006, chez l'éditeur Dalloz. Soit il fait écrire des gens qui deviendront des amis, soit il convainc des proches de prendre la plume – une discipline livresque appliquée à lui-même puisqu'il a participé à l'écriture de près de quarante ouvrages. L'éditeur se rappelle encore, avec une fierté intacte, une belle victoire en la matière : convaincre son « ami absolu », le constitutionnaliste Guy Carcassonne, décédé en 2013, d'écrire un manuel.  « Il y a eu douze éditions de La Constitution introduite et commentée par Guy Carcassonne ! C’est aujourd’hui une bible pour pas mal d’étudiants et des gens du monde politique. » Géraldine Muhlmann raconte aussi qu'Olivier Duhamel l’a rapidement intégrée au comité de rédaction de la revue Pouvoirs et fait écrire un livre sur la liberté d’expression. « C'est tout Olivier ça ! Il est à lui seul un monde d’aventures, il a toujours des projets », dit-elle admirative.  Pour la présidence de la Fondation, l’aventurier a prévu de se consacrer à la réforme du collège universitaire, à la future articulation entre le campus de Paris et celui de Reims. « Et puis, ajoute-t-il avec malice, je vais essayer de créer deux ou trois choses sympathiques.  La première sera sans doute le prix Sciences Po de la photographie politique en association avec Orange et le magazine Polka. C’est ludique, plaisant et c’est une façon d’élargir son regard sur le politique. J'espère que ça va marcher ! » Il marque une pause et ajoute : « Je n'ai pas peur des échecs. Je n'ai jamais de remords d'avoir tenté des choses. J'en ai plein dans ma vie personnelle mais, dans ma vie professionnelle, non. »

Il y a une chose sur laquelle le politologue accepte de se confier sans prière : son amour pour l’enseignement et pour Sciences Po. « J’ai adoré enseigner ici, mais j’ai toujours eu un trac terrible, aime-t-il à raconter. Ce que je dis à la télévision est à peine écouté puisque la plupart des commentaires portent sur le fait que je n’ai pas de cravate ; à la radio, c’est un peu mieux, on n’est pas perturbé par l’image mais l’enseignement, c’est autre chose. Apprendre, comprendre et partager, c’est comme l’amitié tout ça : recevoir et donner. » Au cours de sa carrière rue Saint-Guillaume, trois moments ont particulièrement marqué le professeur désormais émérite. Il croise les jambes avec décontraction, entame une cigarette et nous les conte avec détails et délices. En 2005, très investi dans le référendum sur la Constitution européenne, il avait demandé à de jeunes graffeurs de réaliser une grande banderole pro-Union européenne. Elle devait être à terme déroulée lors d'un des derniers meetings de la campagne. Stockée dans un lieu qui s’est avéré peu propice et pas tout à fait légal, il dut en urgence la déplacer. « Je suis arrivé à Sciences Po en catastrophe pour trouver une solution. Richard Descoings, dans l’entrée, m’a dit : “C’est ta maison.” Je me souviendrai toujours de cette phrase. » Un appariteur a réquisitionné une camionnette, la banderole fut rapatriée, étalée dans le jardin avant d'être cachée dans le bureau de Richard Descoings. Olivier Duhamel propose un expresso, jette un œil, complice, au jardin avant de replonger dans ses souvenirs. On est en 2008, un matin de novembre. Il est 6 h 30. « Born in the USA » de Bruce Sprinsgteen à fond dans un amphi annonce le début d'une journée qu’il a organisée pour suivre l’élection de Barack Obama. Quelque 1 500 étudiants se sont joints malgré l'heure, le froid, l'absence de transports ce jour-là. Mais son plus grand souvenir reste son dernier cours, donné en 2010.  Il regrette que le contenu ait été « l'un des plus ennuyeux » de sa carrière, assure-t-il sans qu'on le croit tout à fait, et préfère se rappeler l'émotion, les étudiants, les amis qu'il a invités pour l'occasion, Richard Descoings qui le couvre de « goodies » siglés Sciences Po – il avait tant insisté pour que la maison en fit. « Se va, se va y no volvera, se va, se va, la libertad… » fredonne-t-il. Ce sont les paroles de « Barco de papel » interprété à la fin du cours par son ami Téo Saavedra. Le réfugié politique chilien, prisonnier sous la dictature de Pinochet, entonnait ce chant lorsqu'un de ses camarades était libéré. En pleine préparation de son festival, Les nuits du Sud à Vence, Téo Saavedra prend le temps d'évoquer leur rencontre et leur amitié « cimentée par l'histoire du Chili » – pays que Duhamel connaît bien et où il adopté ses deux enfants. Le mélomane raconte qu’à la fin du dernier cours du professeur Duhamel, ses étudiants scandaient : « Dudu, président ! Dudu, président ! » La présidence, une prédilection ? Il éclate de rire. Qui sait ?

« La présidence de la Fondation est un engagement mûrement réfléchi, croit savoir Géraldine Muhlmann. Après son investiture, Olivier a ressenti une émotion très particulière. Il était presque angoissé par l’honneur, la responsabilité, la solennité, alors qu’il est capable de prendre des décisions en deux minutes sur un tas d’autres sujets. Cela a une résonance intime très forte. Sans doute est-ce à rapporter à ses émotions liées à l’enseignement. » Olivier Duhamel a enseigné plus de 25 ans le droit public. Ça n'a pas tout de suite été une vocation. René de la Charrière, qui sera le directeur de sa thèse sur la gauche et la Ve république, déposa un jour une graine alors qu'ils étaient en voiture de retour de l'université de Nanterre – où le jeune Duhamel faisait un DEA en droit public et un autre en sciences politiques. De la Charrière suggéra : « Olivier, vous devriez faire professeur d'université. » Et la graine germa diligemment.

« Mon père, reprend Olivier Duhamel, était un homme politique, il était ministre, il avait un vrai charisme. Il aurait probablement eu un destin s'il n'avait été fracassé par une maladie rarissime très jeune. Mon frère aîné voulait faire de la politique depuis très petit, il était vraiment porté vers cela. Jusqu'à ce qu'une batterie de voiture le tue, comme un coup de la providence. [En 1971, Jérôme Duhamel fut victime d'un accident de la route.] Et donc moi, j'avais entre 15 et 25 ans, si je voulais exister aux côtés de personnalités aussi fortes, il fallait que j'invente autre chose. » Refusant que Freud s'invite, Olivier Duhamel s'interrompt. Le fin joueur de tarot ne voudrait pas abattre une carte de trop. Lui qui d'habitude est plutôt dans la position de celui qui pose les questions. 



« Je n'avais pas conscience d'à quel point j'aimerais passionnément ce métier », déclare-t-il, de retour sur le terrain plus stable de sa passion enseignante. « Vous savez, je fais partie des gens qui n’aiment pas les décorations, je n’en ai pas et puis, mon père a eu la Légion d’honneur  à 22 ans pour fait de résistance donc avant de la mériter comme lui, il faudrait que je fasse des choses extraordinaires. Mais j’ai une Légion d’honneur  quand je rencontre un ancien étudiant qui me dit que mes cours ont été importants pour lui. C’est la plus belle récompense d’une vie. » La déclaration serait un peu mièvre si elle n’était sincère. Il n’est pas rare qu’Olivier Duhamel croise dans les couloirs de la République et d’ailleurs, d’anciens élèves. « Grâce à vous, j’aime le droit », se rappelle lui avoir dit Édouard Philippe quand il le vit, des années après, au Conseil d’État où lui commençait sa carrière. Duhamel fut son premier professeur de droit public. Le maire du Havre, membre du parti Les Républicains et soutien d’Alain Juppé dans la primaire à droite, se rappelle la faconde, l'érudition et le sens de la provocation de celui qui fut son professeur de droit public en première année. C'était en 1989. « On sentait le juriste et le constitutionnaliste qui s’attachait à nous expliquer la réalité du droit. Trop souvent le droit constitutionnel est expliqué de façon théorique. Lui détonnait. Ses cours étaient nourris d’expériences et de réalité. Il nous entraînait dans l’arène politique. »

Chez Olivier Duhamel, l'interaction entre le droit et la politique est une marotte, une madeleine goûtée auprès de ses maîtres, Georges Vedel, Georges Lavau et Maurice Duverger. Et sans doute aussi le résultat d'un « atavisme familial », comme le suppose son ami Jean Veil. « Dans quelle mesure les institutions politiques et les règles fondamentales d'attribution façonnent l'exercice du pouvoir ? martèle le président de la FNSP. Dans quelle mesure la vie politique, elle aussi, modifie dans leurs pratiques fondamentales, les institutions ? Si j’ai apporté une petite pierre au grand mur du droit constitutionnel, elle est là, dans les réponses que j'ai pu donner à ces questions. Je pense, ajoute-t-il, qu’aux politiques qui négligent le droit constitutionnel, il manque quelque chose et qu’à mes collègues constitutionnalistes qui ne sont que dans l'analyse juridique, aussi. »

Compagnon de la gauche, député européen sous la bannière socialiste de 1997 à 2004, membre de conseils, de commissions, de comités depuis trois décennies, l'homme est un vieux routier des arcanes de la politique française et européenne. Pourtant, il jure n'avoir jamais envisagé de faire carrière en politique. Son mandat européen, c'était différent, c'était nécessaire : « L'Europe est un magnifique idéal politique que je trouvais déjà malmené et qui l’est de plus en plus. Cet idéal a besoin d'être recrée et porté. » Le Brexit, la montée du Front national en France et des nationalismes européens le dépriment, quant à la politique française, il se refuse à en dire de « tristes banalités ». Sagement, il élude la question sur ses opinions politiques : « Plus le temps passe, plus je m'efforce de donner le plus de place possible à l’analyse et le moins possible à l’expression d’opinions. Sauf sur des choses fondamentales. Quand, par exemple, des centaines de milliers de personnes quittent leur pays pour rejoindre l’Europe et qu'on laisse faire, sans s’y opposer, l’expression immédiate du rejet, d'opinions malfaisantes, qu'on laisse dire ceux dont c'est le fond de commerce pour prendre le pouvoir, là, il faut agir.  Si, face à l’horreur que représente le terrorisme aveugle, on oublie que dans la lutte contre ce terrorisme, il y a des armes que nous n’utiliserons pas, parce qu’elles sont absolument indignes de nous et finalement, qu'elles ne mériteraient même pas qu’on les utilise pour protéger la vie, il faut réagir. Je préfère mourir sur une bombe terroriste que savoir que j’ai contribué au fait qu’on se mette à torturer des terroristes. À part cela, qu'est-ce que cela peut faire de savoir pour qui je vote si tant est que je le sache moi-même ?»

C'est entendu, il déteste parler fanions et étiquettes, même avec ses amis. Cependant Jean Veil, quasi contraint et forcé, le définit comme « un homme de la gauche raisonnable » et « un vrai social démocrate, aux bons réflexes sur les droits de l’homme ». Daniel Cohn-Bendit, dont il se rapprocha au Parlement européen, constate que les préoccupations écologiques d'Olivier Duhamel sont négligeables mais que sur leurs convictions européennes, ils ont de solides points communs. « Au Parlement, Olivier ne faisait pas partie d’une cour, se souvient l'écologiste, il a d'ailleurs payé son statut de personnalité hors courant en n'étant pas réinvesti par les socialistes. Il sait que je l’estime beaucoup. Il sait aussi peut-être que je dirai qu’il a le melon parfois… mais de melon à melon, ça n’est pas grave de le mentionner ! Olivier est un personnage à facettes multiples. Comme un diamant, ça brille quand le soleil tombe dessus. Il aime la lumière. »

La lumière, il l'a trouvée sur les plateaux télé et radio qu'il fréquente depuis plus de 25 ans. Il a commencé sur Canal Plus dans La Grande famille et ensuite, il a toujours chroniqué la vie politique : de La Marseillaise à France Culture et sur Europe 1 où il coanime depuis 2007 l'émission Médiapolis. « Son goût pour le débat, son bonheur d’expression, sa vivacité d’esprit, sa connaissance encyclopédique… les médias lui permettent d’exercer ses différents talents », remarque Jean Veil tandis que Marc Guillaume, secrétaire général du gouvernement et troisième larron de leurs déjeuners réguliers ajoute : « On se demande souvent s’il existe encore des intellectuels dans la cité. C’est difficile de l'être car il faut des idées et savoir les partager. Olivier en est. Il est également un homme d'influence. » Le constitutionnaliste ne dit pas non. Trois idées qu'il défendait ont été adoptées ces dernières années, changeant le cours de la vie politique française : il s'agit de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), du quinquennat et des primaires. Des batailles à épisodes multiples menées avec des compagnons – notamment son ami Guy Carcassonne. « Quand les politiques sont sous  pression et qu’ils cherchent du neuf, analyse le politologue, ils regardent ce qu’il y a en magasin. Et si vous avez mis – si possible en tête de gondole – QPC, quinquennat, primaires, non-cumul des mandats, vous avez une chance que ça marche. » Le fruit d'un peu de hasard et d'énormément de travail. Téo Saavedra raconte les petits matins duhaméliens à Sanary, le tacatacatac du clavier d'ordinateur qui, dès six heures grignote le silence ; Marc Guillaume loue sa lucidité active et constante. « Au fond de lui-même, pense tout haut l'énarque, il doit avoir peur de manquer quelque chose d’intéressant, de rater quelque chose de jouissif qu’il n’aurait pas tenté. » On ne lui demandera pas, pour répondre, il lui faudrait semer son surmoi. La main sur son bracelet-Jiminy Cricket, il conclut : « Je l’avais desserré au début de notre conversation et puis, je viens de le resserrer un petit peu. »

Par Elisa Mignot (promo 08)

Photos : Manuel Braun 

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