Par le Dr Pascal Maurel,
Président du Groupe professionnel Santé de Sciences Po Alumni
Le Coronavirus frappe les populations des pays européens habituées à vivre en bonne santé grâce à une médecine triomphante. Depuis la seconde partie du siècle dernier, la science moderne nous a permis de vivre en grande confiance et insouciance. Tout semble remis en question, ces jours-ci, dans une grande brutalité. La santé publique est interrogée au travers d’une crise sanitaire inédite.
Des épidémies tragiques ont touché, dans notre Histoire commune européenne, nos populations, à intervalles réguliers. Il y a 100 ans, la grippe espagnole tuait plus que la Grande Guerre. Et au lendemain de ce désastre naissait, en réponse, comme nous l’a rappelé le Pr Jérôme Salomon, Directeur général de la Santé*, un ministère de l’hygiène et de la prévoyance, au titre prémonitoire, qui deviendra plus tard le Ministère de la Santé. L’épidémie virale majeure du Sida, qui n’est toujours pas définitivement réglée, 40 ans après, fut terrorisante dans nos pays et particulièrement pour les plus jeunes. Mais les diverses maladies virales et bactériennes que nous avons connues depuis en métropole et dans les territoires d’Outre-mer n’ont pas entrainé, en un éclair, les impressionnantes réactions en chaine sanitaires, sociales et économiques que nous découvrons, abasourdis, avec la crise actuelle du COVID-19.
Courage
Les médecins et soignants, hospitaliers en premier lieu mais aussi libéraux, deviennent dans la tempête « nos héros nationaux ». Les engagements exemplaires de la communauté soignante sont nombreux. Plusieurs soignants tombent au combat. Mais « ils tiennent bon quand tout s’effondre », nous dit la philosophe Cynthia Fleury**. A ce jour, à Creil, dans la région Grand Est, en Ile-de-France, dans des clusters spécifiques du Sud-Est et bientôt ailleurs, la France ressemble à un champ de bataille. Après la Chine, le nord de l’Italie comme dans tous les pays touchés, la communauté soignante apparait le plus souvent exemplaire. Face à l’adversité, la mobilisation des professionnels du soins et des services apparait admirable. L’État et ses fonctionnaires, quant à eux, parent au plus pressé pour soutenir une économie et un ordre menacés.
Dépendance sanitaire
Quelques semaines après son invasion, l’épidémie laisse les citoyens dans des états d’incompréhension, de doute et parfois de colère. Les errements nauséabonds, racistes, antisémites et complotistes se multiplient sur les réseaux sociaux. Des conflits scientifiques surgissent sous les yeux médusés des Français.
Malgré les alertes venant d’Asie, le terrible virus apparaissait, il y a peu, comme une menace lointaine et diffuse. Désormais l’invasion fait plier les pays occidentaux. Les autorités sanitaires et économique s’alarment et tentent de prendre en charge une société tremblante et une économie en apnée. Les populations du monde entier sont confinées de manière totale ou partielle, selon les cas, sans grande concertation. Nous découvrons que notre système de santé qui est le plus souvent efficace, est fragile et que notre dépendance sanitaire est totale. Pas assez de masques, des tests en nombre insuffisants, des stocks de médicaments qui baissent et qui obligent les responsables hospitaliers à demander l’ouverture des frontières aux médicaments, masques et respirateurs. Du jamais vu de mémoire d’Homme. Le Président Macron insiste sur la nécessité de mettre tous les moyens possibles dans « la guerre sanitaire ». Et il s’engage à ne plus amoindrir nos capacités de soin en reprenant le contrôle de nos approvisionnements « dans une France et une Europe souveraine ».
Fragilités
Dans ce moment d’urgence extrême, les institutions politiques, pourtant très proactives et engagées, butent, particulièrement en France, sur l’information et la communication médicale et scientifique. Ainsi, les critiques qui s’élèvent contre nos gouvernants sont nombreuses, notamment si on les compare aux réactions plus mesurées de nos voisins européens semble-t-il plus soudés derrière leurs gouvernements pourtant confrontés aux mêmes difficultés. Malgré les structures de veille, l’orientation assez récente vers la prévention et les approches dites populationnelles, la complexité des mécanismes en place en France ne rendent pas les décisions assez lisibles. Notre système, avec ses fragilités, ses inégalités, le trop plein de priorités assignées, semble mal calibré face au risque épidémique. Alors qu’ils engagent leurs populations, pas préparées à ce type de crises imprévisibles, dans des confinements jamais pensés à cette hauteur, ni donc réalisés, nos gouvernements démocratiques voient les difficultés s’amonceler. Nous ne sommes pas habituées aux risques majeurs et à la mort qui rode. Les gouvernants démocratiques, partout fragiles, nous ont habitué aux propos lénifiants, et il nous est difficile d’imaginer le pire quand tout est fait pour nous faire oublier la réalité de nos vies en suspens.
Mauvais vents
Nos hôpitaux sont apparus ces derniers mois en difficulté sans que le gouvernement parvienne à reprendre la main. Les efforts ont été centrés sur des régulations et l’encadrement de dépenses, pourtant nécessaires. Mais les médecins, les urgentistes, les infirmiers, sur le terrain ont alerté le pays sur leurs difficultés d’exercice. les coopérations, groupements et autres alliances sont trop rares entre le secteur public et le privé, l’hôpital et la ville. Les chantiers ouverts, très nombreux, sont à peine commencés. Quand la santé va, tout va bien. La bonne santé est bénéfique à l’économie. La mauvaise santé, on le voit sous nos yeux, la plombe. L’épidémie de coronavirus s’avère dirimante pour l’économie et le bien-être social.
Transparence
Malmené par une opposition en embuscade, le gouvernement prend le risque de maintenir le premier tour des élections municipales… « Une mascarade », juge l’ancienne ministre de la santé, candidate, elle-même à Paris. Les spécialistes de gestion de crise recommandent de dire la vérité et de ne pas cacher les difficultés. Or, la transparence est un art difficile pour des responsables politiques qui ne savent que penser des explications scientifiques non validées et divergentes. A la différence des États d’Asie de l’Est, nous n’avons pas pu « tirer des leçons de la traumatisante crise du SRAS de 2003 ** ». Ni, nous n’avons osé utiliser, pour l’instant, les données médicales, comme le rapporte l’Institut Montaigne à propos de Taiwan. Et de poursuivre : « L’approche taiwanaise est très intrusive pour contrôler les individus en quarantaine », et elle reste fondée sur des « sanctions contre les comportements socialement dangereux ». Ce que confirme le Pr Jean Sibilia, chef de service à Strasbourg et Doyen de la faculté de médecine, dans un entretien télévisé**** de l’Université du Change Management en Santé (UC2m) : « Nous avons été rapidement submergés et nous faisons face avec les moyens du bord. Nous sommes dans le match. Nous ne sommes plus habitués à voir les malades mourir en nombre. Nous étions préparés en théorie mais il y a des incertitudes que nous découvrons au fil de l’eau ». L’affrontement scientifique sur l’usage de la chloroquine, entre le Pr Raoult de Marseille et le Conseil scientifique du gouvernement, est la source d’une instabilité insensée. La multiplication d’interventions divergentes sur les chaines de télévision en continu et sur les réseaux sociaux rend le climat délétère. Les jeunes médecins critiquent leurs aînés et demandent des mesures de confinement plus dures en saisissant, par un recours en référé, le Conseil d’État. Les libéraux, en manque réel de masques, se considèrent en danger. Il nous faudra « retisser les liens ».
Transformation
Après l’orage, notre système de santé, meurtri mais valeureux, devra se remettre en cause. Il devra notamment se repenser en collaboration plus profonde avec ses partenaires européens. L’Europe de la Santé serait-elle enfin arrivée ? Les professionnels de santé demanderont plus de moyens à des pouvoirs publics qui ont compris que la dépendance industrielle n’est plus acceptable dans les secteurs essentiels. Après l’expression publique des critiques, une fois la bataille gagnée, il faudra préciser et partager avec les citoyens les objectifs de développement du système de santé. La crise que nous traversons nous montre l’intérêt des nouvelles technologies pour suivre les patients en téléconsultation. Avec souplesse, les autorités administratives se préparent à faire évoluer les textes administratifs et à aider l’hôpital à se préparer à la prochaine crise. Le rapprochement entre médecins, pharmaciens et infirmiers apparait une évidence dans l’adversité. Les médecins hospitaliers de plusieurs grands hôpitaux en Europe, dont l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, demandent quant à eux une initiative européenne pour laisser ouvertes les frontières de produits et médicaments, afin de pouvoir les répartir et les acheminer. Emmanuel Macron nous le dit : « le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant ». Encore faut-il que « le cœur (et le cerveau) des hommes en soit changé », pour paraphraser Camus dans La Peste.
Dr Pascal Maurel
Président du Groupe professionnel Santé de Sciences Po Alumni
* Groupe Santé de Sciences Po-Alumni, 14 janvier 2020 avec le Pr Jérôme Salomon
** In Le Monde, 26 Mars
*** Institut Montaigne, Blog 20 mars 2020, Mathieu Duchâtel,
**** Université du Change Management en médecine, Émission du 26 Mars 2020
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