Services de presse entre Alumni #24 : Ex Nido, de Julie Atlan-Wagner
11/03/2025
« En partant d’un fait hautement probable, l’épuisement de nos ressources énergétiques dans un monde déjà très inégalitaire, Ex Nido nous embarque dans un imaginaire haletant, une aventure dans laquelle la quête d’humanité des personnages donne à s’émouvoir et à penser nos valeurs universelles menacées » : Frédérique Trimouille (promo 1977) nous explique pourquoi elle a aimé Ex Nido de Julie Atlan-Wagner (promo 2016), paru en novembre 2024 chez Forgotten Dreams.
Le livre
L’autrice
Julie Atlan-Wagner, Babelio.
Avocate de formation, après un parcours professionnel assez varié (dont un passage chez Google à Dublin), Julie Atlan-Wagner a décidé de se consacrer à l’écriture après la naissance de sa fille.
Le tome I d’Ex Nido est la première étape de ce projet. À travers ce livre, elle souhaite explorer les conséquences politiques les plus extrêmes d’une crise environnementale inédite.
Présentation du livre par la maison d'édition
La Pénurie générale a causé de nombreux dégâts. Heureusement, le Conseil des Sages et ses officiels sont parvenus à garantir la survie du plus grand nombre en éliminant toute émotion déviante et tout besoin superflu, grâce à la rationalisation. Au sein du prestigieux Rationalisateur, le jeune Colin participe avec application à sa mission. Mais, à son grand désarroi, sa rencontre avec la mystérieuse Léonie va bouleverser ses certitudes.
Qui sont ces personnes, dont elle dit que les dirigeants cherchent à cacher l’existence ? Qui est à l’origine de cette résistance qui œuvre dans l’ombre ?
Un extrait choisi par Frédérique
Dans ce passage au début du livre, deux personnages, âgés, sont coupables de s’aimer et « rationalisés » pour les guérir de cette grave déviance.
Au signal de la machine, Nicolas abaissa le levier destiné à enclencher le processus. L'appareil se mit à émettre un grondement, immédiatement couvert par une douce musique, destinée à rassurer la personne traitée.
Encore impressionné par l'opération, malgré son année d'exercice, Colin ne pouvait détacher ses yeux de la chambre. Il y vit Léon Dupuis, plongé dans le noir complet par le masque couvrant ses yeux, prendre une profonde inspiration alors que la fréquence des battements de son cœur angoissé se réduisait. Mais il était incapable de deviner ce qui se jouait dans la tête du vieil homme, ni qu'il tentait de s'accrocher à tout ce qui avait fait la richesse de sa longue vie, y compris avant la Pénurie générale. Il ignorait tout des pensées qui s'entassaient à une vitesse folle dans l'esprit du sujet, qui goûtait, une ultime fois, à la liberté de les laisser vagabonder. À l'insu des rationalisateurs, il songeait à son enfance, heureuse malgré le pessimisme de l'époque, les mauvaises nouvelles qui s'accumulaient au gré des bulletins d'informations et les tours joués aux humains par le climat capricieux. Il se souvenait de l'odeur du soleil sur sa peau, de l'herbe fraîchement tondue et de cette insouciance qui saisissait les gens quand les jours s'allongeaient. Il entendait le grondement du tonnerre et le clapotis de la pluie sur la tôle quand il s'endormait, à l'abri dans son lit. Il visualisait, pêle-mêle dans son esprit, la beauté des lumières des Noëls jadis, le bitume de la cour d'école et le gâteau au chocolat que sa mère lui préparait pour son anniversaire.
L'avis de Frédérique
Le monde tel qu’il va, ou plutôt ne va pas, a-t-il besoin de dystopies ?
On serait tenté de considérer que la réalité dépasse aujourd’hui la fiction, mais peu importe, l’accélération du temps, le rétrécissement de l’espace, l’accroissement de la violence ne font que renforcer notre besoin de récits, des récits à partager, des récits auxquels nous identifier, des récits qui aident à penser le présent et le futur. En partant d’un fait hautement probable, l’épuisement de nos ressources énergétiques dans un monde déjà très inégalitaire, Ex Nido nous embarque dans un imaginaire haletant, une aventure dans laquelle la quête d’humanité des personnages donne à s’émouvoir et à penser nos valeurs universelles menacées.
Ex Nido est une addiction, en tous cas un « page turner », sans aucun doute !
Pourtant, le monde du futur qu’il dépeint est sinistre. Nous sommes en 2103. Tout est venu à manquer. Dans les phalanstères, tous les plaisirs de l’ère de l’abondance se sont évanouis. Le monde est gris, insipide, glacé l’hiver, étouffant l’été. La société de consommation a péri, les vivres sont comptés et les objets sont usés, dépareillés, recyclés. Surtout, pour réguler ces micro-sociétés de la rareté, une entreprise de rationalisation universelle prive les individus de leurs émotions. Réduits à une stricte utilité sociale, ils sont entretenus dans l’illusion que cette régulation est d’une grande bienveillance et la seule possible pour assurer la survie du plus grand nombre.
Dans ce contexte, le jeune Colin a un sort relativement enviable, il est « technologicien », c’est-à-dire chargé des opérations de rationalisation des individus ayant des comportements déviants. La colère, l’amour, l’amitié, l’écoute de la musique, la lecture d’ouvrages de fiction sont autant de déviances, Colin et son binôme Nicolas sont donc chargés d’effacer de la mémoire de ces individus les source de leurs émotions.
Quand la mystérieuse Léonie fait irruption dans le grand « Rationalisateur », le monde de Colin bascule. Nous sommes à la fin de la première partie. Au cours des quatre suivantes, Colin, Léonie et Nicolas, vont de découvertes en découvertes quant à la véritable nature du régime des phalanstères et vivent toute la gamme des émotions dont le système a tenté de les priver, et le lecteur avec eux. Cette émancipation ne va pas sans mal et nos résistants sont soumis à dure épreuve.
On ne peut que s'identifier aux personnages
Ce sont de beaux personnages auxquels on ne peut que s’identifier ; leur quête, leur terreur, leur prise de conscience sont les nôtres. D’abord énigmatiques, ils prennent de l’épaisseur à mesure qu’ils se découvrent et découvrent le monde dans lequel ils vivent. Colin, privé d’intériorité au début du livre, étonne ensuite par son courage et sa sensibilité. C’est un personnage complexe, infiniment touchant, dont l’humanité grandit à mesure qu’il se bat et se débat, mû par un désir puissant de comprendre et de résister. Léonie conquiert d’emblée le cœur du lecteur, elle reste longtemps très mystérieuse. On la sent et on la découvre profondément blessée, terriblement lucide. C’est elle qui porte, dès le début de l’histoire, l’espérance d’un autre monde possible.
Une vraie fin très satisfaisante
Le suspense reste entier jusqu’à la fin. Une vraie fin très satisfaisante, mais qui laisse planer suffisamment de mystère pour avoir envie de se précipiter sur le tome II !
Vous l’aurez compris, voilà un livre qu’on ne lâche pas facilement. J’ai aimé l’avoir en main, j’ai aimé son format, sa couverture, son organisation en courts chapitres, sa structure, avec ses incursions soixante ans avant l’action principale qui donnent de la profondeur au récit.
Et puis, en ces temps incertains, je n’ai pu m’empêcher de me questionner avec ses personnages : et si on me privait de musique ? Le pire est-il certain ? En quoi consiste la dépendance ? En quoi consiste le courage ? Bref, quelques petites questions importantes...

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