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UNE CONFERENCE D'EXCEPTION SUR LES ENJEUX ENERGETIQUES DANS LE CONTEXTE FRANCO-ALLEMAND

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Cercle Franco-Allemand

08/06/2023

Le groupe Energie, infrastructures et mobilités et le Cercle Franco-Allemand des Alumni de Sciences Po ont organisé ce jeudi 11 Mai, à Sciences Po, une conférence « Regards croisés sur les stratégies énergétiques des deux côtés du Rhin face au double défi du climat et de la sécurité des approvisionnements ».

Merci tout d’abord à Denis FLORIN, Président du groupe professionnel Energie, infrastructures et mobilités des Alumni de Sciences Po ainsi qu’à Eric KURZAWSKI, du bureau du Cercle Franco-Allemand des Alumni de Sciences Po, qui ont mis leur professionnalisme et leur engagement pour organiser cette conférence. Merci également aux équipes de Sciences Po et des Alumni qui nous ont grandement aidé dans l’organisation et la logistique.

Nous avons eu la chance de recevoir des experts de talents, économistes, professeurs, conseillers scientifiques : Murielle GAGNEBIN, Etienne BEEKER et Jan-Horst KEPPLER, trois éminents spécialistes de la politique énergétique et du contexte franco-allemand. Qu’ils en soient toutes et tous ici, tout d’abord, chaleureusement et vivement remerciés.

Murielle GAGNEBIN ouvre le débat et rappelle les dernières évolutions chiffrées ainsi que les contextes géopolitiques : des pays européens qui ont été touchés différemment suivant leur plus ou moins grande dépendance au gaz, un choc qui frappe particulièrement l’Allemagne et l’Italie. Pour couvrir la hausse des prix, ce ne sont pas moins de 100 milliards d’Euros qui ont été dépensés. La sortie du nucléaire en Allemagne vient initialement du mouvement écologiste, mais c’est aussi un ADN politique, poussé par les citoyens allemands. 

Le pétrole reste néanmoins un enjeu majeur, représentant 40% de la consommation énergétique : la décarbonation va donc devoir commencer par les transports mais couvrir également bien d’autres secteurs comme l’élevage et changer nos modes de consommation. 

Sur la dimension franco-allemande, elle rappelle qu’il vaudrait mieux coopérer plutôt que de se focaliser sur le sujet du nucléaire, véritable fracture franco-allemande qui cristallise les tensions.

Etienne BEEKER rappelle ensuite que la crise a touché le gaz et ce, uniquement en Europe. Les Etats-Unis ont continué d’extraire du gaz de schiste et l’on a observé une relance du charbon. 

Il rappelle que cette crise n’est pas le fruit du hasard : l’Europe avait, bien avant la crise, affaibli son système d’approvisionnement électrique. Deux crises majeures : la crise de sous-capacité en Europe à laquelle s’est superposée la crise géopolitique. 

Il rappelle que nous héritons d’une organisation du système électrique qui n’est pas fortuite. Historiquement, il n’y avait après la seconde guerre mondiale que des monopoles publics. La libéralisation arrive dans les années 80, impulsée notamment par La Grande-Bretagne et Mme THATCHER : le gaz trouvé en Mer du Nord l’a décidée à en faire le remplaçant du charbon anglais, avec les crises sociales qui s’en sont suivies. 

Deuxième étape majeure : la crise financière en Europe et la relance keynésienne verte : le gaz a servi d’énergie de raccord, mais ce n’était plus le gaz de la Mer du Nord mais le gaz russe. 

C’est aussi à ce moment que l’on introduit des Energies Non renouvelables (ENR) subventionnées avec des prix fixés hors marchés. Le gaz devait faire le complément, mais fin 2022, l’Europe s’est exposée au gaz, une situation qui s’était déjà produite au début des années 2000.

 

Etienne BEEKER prend ensuite la parole.

Selon Etienne BEEKER, l’Energiewende est aujourd’hui un échec, et c’est un modèle que l’Allemagne a voulu imposer à l’Europe. En réalité, le marché n’était pas fait pour inciter à décarboner, car organisé pour faire une connexion court-terme. 

Il y a donc une dichotomie grave liée à un marché orienté vers du court terme alors que le problème était une transition énergétique structurelle et à long terme.

L’Allemagne a alors obtenu que le renouvelable soit soutenu par des mécanismes hors marché alors que le nucléaire n’est pas soutenu hors-marché. L’Allemagne prend alors un pari insensé en se rendant dépendante du gaz russe alors que la sécurité de son approvisionnement à long-terme et de son industrie passe d’abord par le charbon. Une vraie contradiction.

La France, depuis les années 70, a pris une autre voie et développe une politique énergétique et industrielle cohérente axée autour du nucléaire. 

Puis viennent les énergies nouvelles. En Allemagne, la migration en autonomie vers l’énergie solaire est un échec économique. Les Chinois confisquent 95% des supports de production d’énergie solaire. L’Allemagne commet donc une grave erreur stratégique en abandonnant l’énergie thermique, alors que la Chine prend de l’avance sur le solaire. 

 

Et l’hydrogène ? Etienne BEEKER rappelle l’expertise historique et intrinsèque de l’Allemagne dans le secteur de la Chimie (BASF). Il rappelle que lors de la Seconde Guerre Mondiale, l’Allemagne n’ayant plus accès au pétrole avait vécu avec du carburant de synthèse. 

Il en résulte un ancrage profond dans l’imaginaire allemand qui favorise la perception de l’hydrogène, solution de synthèse, comme une solution pour la sécurité des approvisionnements.

Mais l’hydrogène présente une complexité majeure. Pour produire de l’hydrogène décarboné, il faut une grande quantité d’électricité, et donc de l’électricité à faible coût. 

Cette contrainte pousse l’Allemagne à s’orienter vers une production de l’hydrogène loin dans les déserts (2008_2009 – Projet Desertech) pour le rapatrier ensuite en Europe. Un projet de 350 Milliards d’Euros dont il ne reste… rien ! Les projets Hydrogène risque de subir le même sort. Il est impératif de rester vigilant : l’émotionnel politique a pris le primat sur le rationnel industriel, une situation inédite  

Les marchés anticipent d’ailleurs une défaillance en France et un possible black-out lors de l’hiver 2023-2024. La situation est extrêmement préoccupante.

A cette situation complexe en Europe (contexte géopolitique, prix de l’Energie) s’ajoute la stratégie de « vidage industriel » organisée par les Etats-Unis via l’Inflation Reduction Act, leur permettant de racheter des blocs de l’industrie européenne à moindre coût. 

En conclusion, la crise récente a révélé des divergences franco-allemandes très profondes, graves et sources de risques majeurs pour l’Europe de demain. 

Il faudrait donc instaurer un pacte de neutralité technologique France-Allemagne, mettre la sécurité de l’approvisionnement en priorité absolue.  Et sortir d’une logique manichéenne, d’un discours « c’est bien, c’est mal » pour remettre le calcul socio-économique au cœur du débat.

Jan-Horst KEPPLER prend ensuite la parole. Il rappelle qu’il y a beaucoup d’opposition « gratuite » entre la France et l’Allemagne (notamment à Bruxelles), au risque d’oublier les échanges structurels d’aides et d’approvisionnements croisés d’électricité et de gaz entre la France et l’Allemagne.

3 constats : 

  • Il y a d’autres facteurs que le gaz pour expliquer la crise énergétique récente et on a assisté d’abord à une anticipation des ruptures par les marchés (surtout pour l’électricité, dans une moindre mesure pour le gaz). 
  • Le système a fait alors preuve d’une réelle résilience et a tenu.
  • Le débat renouvelable contre nucléaire s’est sérieusement enlisé, un conflit davantage destiné aux audiences médiatiques et domestiques pour « surjouer » le conflit, une attitude qui cristallise aujourd’hui les opinions

Il faut un nouveau « market design » hybride : conserver des éléments régulés pour favoriser l’investissement et limiter les éléments subventionnés. 

Il est fondamental de sortir de l’idéologie et de l’hypocrisie. Seuls comptent la sécurisation des approvisionnements et la baisse des émissions de CO2. Il faut donc être plus franc et plus honnête.

 

Le débat qui suit met en avant les divergence plus « apparentes », les éléments d’instrumentalisation politique (notamment sur le sujet du nucléaire en Allemagne).

Le modèle allemand n’est pas duplicable à toute l’Europe. Si les pays ne gèrent que du renouvelable, cela ne marchera pas. Il est urgent de trouver une nouvelle alliance franco-allemande car les grands gagnants, à l’heure actuelle, sont les Etats Unis avec le gaz de schiste, au détriment de l’Europe 

La crise actuelle révèle enfin une conception différente du rôle de l’Etat entre la France et l’Allemagne car, en Allemagne, l’Etat doit être maintenu à distance pour ne pas s’immiscer dans la politique industrielle, une position très éloignée de l’interventionnisme étatique français.

Il est donc urgent de réagir de façon concertée au niveau franco-allemand et européen. Le carcan réglementaire européen des aides d’Etat n’est plus adapté, surtout dans un contexte où la Chine et les Etats-Unis soutiennent leur industrie avec des moyens dont les Etats européens ne disposent pas. 

L’Allemagne a voulu imposer à l’Europe une non-intervention étatique, par idéologie, une forme de naïveté libérale ou inspirée de la seconde guerre mondiale, au risque d’affaiblir l’Europe dans ce contexte de crise énergétique.

La crise énergétique que nous vivons est peut-être l’unique occasion de réveiller les consciences et de provoquer une nouvelle convergence franco-allemande.

 

Un immense merci à nos intervenants Murielle GAGNEBIN, Etienne BEEKER et Jan-Horst KEPPLER, mais aussi à Denis FLORIN et Eric   KURZAWSKI, maîtres d’œuvre de ce magnifique moment d’échange, d’intelligence et d’amitié prolongé d’une soirée conviviale dans un café près de Sciences Po. Nous aurions pu rester discuter jusqu’au bout de la nuit.

Replay à suivre sur le site de l’Association des Alumni de Sciences Po

Merci à toutes et tous. Ne ratez pas nos prochaines conférences qui s’inscriront dans ce cycle dédié aux questions de l’énergie dans un contexte franco-allemand.

Denis CERISIER

Président du Cercle Franco-Allemand de Sciences Po Alumni


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