Service de presse entre Alumni #17 : Le goût de la francophonie, d'Emmanuel Maury
29/10/2024
« Pour la joie de lire, relire ou découvrir » : Pierre de Montalembert d'Esse (promo 2006) nous explique pourquoi il a aimé Le goût de la francophonie, recueil de textes choisis et présentés par Emmanuel Maury (promo 1990), préfacé par Tahar Ben Jelloun, paru en septembre 2024 au Mercure de France.
Le livre
L'auteur
Emmanuel Maury est un haut fonctionnaire et écrivain français.
Il a publié notamment La République à refaire (Éditions Michalon, 1999), primé par l'Institut de France. De même que la première anthologie de la poésie européenne (Petite anthologie de la poésie européenne, Éditions Singulières, 2008), préfacée par Marc Fumaroli, de l'Académie française (avec textes dans la langue d'origine et traduction en français).
Il a également dirigé la publication des Grands livres de notre temps (Éditions STH, 1993), préfacé par René Rémond et plusieurs fois réédité.
Le goût de la francophonie est sorti à l'occasion du XIXᵉ Sommet de la Francophonie, qui s'est tenu à Villers-Cotterêts les 4 et 5 octobre derniers.
Présentation du livre par la maison d'édition
La Francophonie est à la fois une réalité et un projet politique. Depuis 1880 et la création du « concept » par Onésime Reclus (1837-1916), elle n'a jamais été autant d'actualité. Ici, nous entendrons les voix phares qui dessinent un monde linguistique sans frontière. Précurseurs ou contemporains, qu'ils soient de France, Québec, Haïti, Vietnam, Belgique, Suisse, Pologne, Uruguay, Maurice, Madagascar, Mali, Sénégal, Irlande, Roumanie, Martinique, Guadeloupe, Liban, Côte-d'Ivoire, Espagne, Algérie, Maroc ou Polynésie, tous ces écrivains ont délibérément choisi de s'exprimer en français par goût ou amour de cette langue, et font résonner la langue française une et multiple pour composer les plus belles pages de la littérature.
Un extrait choisi par Pierre
Mon pays a toujours parlé français et, si on veut, ce n'est que « son » français mais il le parle de plein droit [...] parce que c'est sa langue maternelle, qu'il n'a pas besoin de l'apprendre, qu'il le tire d'une chair vivante dans chacun de ceux qui y naissent à chaque heure, chaque jour. [...] Mais en même temps, étant séparé de la France politique par une frontière, il s'est trouvé demeurer étranger à un certain français commun qui s'y était constitué au cours du temps. Et mon pays a eu deux langues : une qu'il lui fallait apprendre, l'autre dont il se servait par droit de naissance ; il a continué à parler sa langue en même temps qu'il s'efforçait d'écrire ce qu'on appelle chez nous, à l'école, le « bon français », et ce qui est en effet le bon français pour elle, comme une marchandise dont elle a le monopole. [...] Je me rappelle l'inquiétude qui s'était emparée de moi en voyant combien ce fameux « bon français », qui était notre langue écrite, était incapable de nous exprimer et de m'exprimer. Je voyais partout autour de moi que, parce qu'il était pour nous une langue apprise (et en définitive une langue morte), il y avait en lui comme un principe d'interruption, qui faisait que l'impression, au lieu de se transmettre telle quelle fidèlement jusqu'à sa forme extérieure, allait se déperdant en route, comme par manque de courant, finissant par se nier elle-même. [...] Je me souviens que je m'étais dit timidement : peut-être qu'on pourrait essayer de ne plus traduire. L'homme qui s'exprime vraiment ne traduit pas. Il laisse le mouvement se faire en lui jusqu'à son terme, laissant ce même mouvement grouper les mots à sa façon. L'homme qui parle n'a pas le temps de traduire. [...] Nous avions deux langues : une qui passait pour « la bonne », mais dont nous nous servions mal parce qu'elle n'était pas à nous, l'autre qui était soi-disant pleine de fautes, mais dont nous nous servions bien parce qu'elle était à nous. Or, l'émotion que je ressens, je la dois aux choses d'ici... « Si j'écrivais ce langage parlé, si j'écrivais notre langue... » C'est ce que j'ai essayé de faire...
Charles-Ferdinand Ramuz. Lettre à un éditeur, dans Six Cahiers, 1928-1929.
L'avis de Pierre
« Les écrivains sont incorrigibles »
C’est Tahar Ben Jelloun qui l’écrit, dans la belle préface qu’il consacre à ce choix de textes. Il prévient aussi : « Je n’aime pas qu’on dise d’un écrivain non français de souche : "c’est un écrivain francophone." Aimé Césaire, Édouard Glissant, Georges Schéhadé ont écrit une langue qui était cachée dans les pierres du temps, ils l’ont sortie en plein soleil et l’ont célébrée, magnifiée, enrichie, aimée, défendue. Ce sont des écrivains français. Le reste relève des gendarmes. »
La francophonie est un concept, à l’origine politique, comme le rappelle Emmanuel Maury, mais, puisque donc les écrivains sont « incorrigibles », ils ont passé outre les barrières et en ont fait « un imaginaire habité par les langues françaises ».
De fait, ainsi que le recueil le montre bien, c’est une langue qui est pratiquée par les plumes féminines et masculines, mais ce sont des voix qui s’expriment, chacune riche de son style, son inventivité, sa malice aussi parfois : il y a loin de la prose poétique pratiquée par Marguerite Yourcenar à l’humour faussement naïf qui régit les livres d’Alain Mabanckou. Pourtant les deux rendent hommage à la même langue et l’on peut aimer et admirer les deux.
Un projet littéraire et poétique venu de loin
Le terme même de « francophonie », ainsi que le rappelle Emmanuel Maury, a été inventé à la fin du XIX° siècle par le géographe Onésime Reclus. Mais c’est à juste titre que le recueil remonte bien plus loin, à Joachim du Bellay et à sa Défense et illustration de la langue française.
Cet hommage aux « précurseurs » permet de mettre en valeur quelques grands noms, parfois surprenants : on ne s’attendait ainsi pas à voir figurer Pouchkine, dont il est rappelé qu’issu d’une famille qui parlait français, il a écrit plusieurs textes dans cette langue et figure ainsi de plein droit dans le recueil.
Un projet bien vivant
Emmanuel Maury le rappelle en introduction : « plus de 330 millions de personnes dans le monde emploient régulièrement la langue française, et ce, dans quelque 90 pays ou régions principales. Un nombre en constante progression […] et qui devrait être de l’ordre de 500 millions vers 2050. »
Cette langue, parlée de naissance ou adoptée, est celle pratiquée par nombre d’écrivaines et écrivains aujourd’hui, que l’on connaît ou que l’on a plaisir à découvrir.
L’auteur, porté par une grande culture, montre que la francophonie n’est pas morte, loin de là, et qu’au contraire elle reste portée par des voix venues de tous pays, de tous continents. Il rappelle la phrase du poète congolais Tchicaya U Tam’si : « Le français, c’est aussi une fenêtre ouverte sur le monde ». Ce recueil nous en convainc pleinement et c’est en fin de compte un message d’espoir qui est porté : partout dans le monde, le français reste une langue d’élection et l’on se dit, en lisant, riant, s’émouvant, s’enthousiasmant, que grâce à la francophonie, la littérature française a un grand avenir devant elle.
Pourquoi ce livre devrait plaire aux Alumni de Sciences Po
Pour la joie de lire, relire ou découvrir une quarantaine de voix, allant de Joachim du Bellay à Natacha Appanah, en passant par Nguyen Van Xiem, Dany Laferrière, François Cheng, Flora Aurima-Devatine, Aimé Césaire, Ramuz, Assia Djebar, Beckett, Maryse Condé… mais aussi Casanova ! Et parce que, le recueil terminé, on n’a qu’une hâte : se rendre dans une librairie, riche de tous ces textes lus, et prolonger le plaisir de la lecture par, non plus des extraits, mais leurs œuvres.
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