"La musique la plus enthousiaste et la plus extatique, c'est bel et bien le vérisme. Tout n'y est qu'âme et passion, et c'est cela qu'on adore justement, un brasier de sentiments" 

Jonas Kaufmann

Que le super ténor de notre temps décrive ainsi, après Caruso et d'autres grands interprètes, ce style qui a fleuri en Italie, après Verdi, entre 1890 et 1910 montre tout l'intérêt du programme présenté cette semaine par le Met.  

Drame et passion garantis!

Mardi 9 Mars
Puccini Manon Lescaut
 Avec Renata Scotto (Manon), Plácido Domingo (Des Grieux), Pablo Elvira (Lescaut) et Renato Capecchi (Géronte di Ravoir), dir. James Levine. Production de Gian Carlo Menotti. 29 Mars 1980.

La version italienne de l’adaptation du roman de l’abbé Provost (à comparer avec Manon de Jules Massenet, la version française, plus connue) n'est peut-être pas le plus grand des opéras de Puccini (la Bohème, Mme Butterfly, Tosca, Turandot,...) mais il a un charme certain et il est difficile d’imaginer une plus belle réalisation.

Renata Scotto est en effet une Manon bouleversante, du charme du début au désespoir final, servie par des partenaires parfaits (Domingo, Capecchi) et une direction d’orchestre superlative qui soutient admirablement la dramaturgie. 

Cette production riche, «spectacle » typique du Met, sans analyse complexe des personnages est à prendre au 1^er degré pour l'émotion. Un bonheur d'opéra !

Mercredi 10 Mars
Mascagni Cavalleria Rusticana et Leoncavallo Pagliacci (Paillasse)
 Avec Eva-Maria Westbroek (Santuzza), Marcelo Álvarez (Turiddu) et George Gagnidze (Alfio); Patricia Racette (Nedda), Marcelo Álvarez (Canio), George Gagnidze (Tonio) et Lucas Meachem (Silvio), dir. Fabio Luisi. Production de David McVicar. 25 Avril 2015.

Le dyptique habituel (deux œuvres d'un acte généralement jouées ensemble, dits "Cav et Pag") à la création du vérisme italien est présenté ici dans une nouvelle production dépouillée (à comparer avec celle de Zeffirelli en 1978 présentée le 18 Février avec Troyanos, Stratas, Domingo,...).  

Elle souligne dans le premier opéra, d'une manière magistrale, tous les codes et non-dits d'une communauté sicilienne machiste et matriarcale et son sens de l'honneur produisant un drame psychologique intense avec une  Westbroek extraordinaire en paria du village.  

Si les deux œuvres  se déroulent dans le même village (et décors), la mise en scène les présentent  comme deux œuvres sans rapport, avec un Paillasse plus conventionnel et moins puissant que Cav ... 

Alvarez en clown qui apprend l'infidélité de sa femme au moment de monter sur scène pour faire rire le public y chante sa rage et son désespoir dans le célébrissime air vériste absolu "Vesti la giubba"  (Mets la veste), avec beaucoup de passion et de pathos. 

A voir pour Cavalleria et pour découvrir Paillasse.

Jeudi 11 Mars
Cilea Adriana Lecouvreur
Avec Anna Netrebko (Adriana Lecouvreur), Anita Rachvelishvili (princesse de Bouillon), Piotr Beczała (Maurice de Saxe) et Ambrogio Maestri (Michonnet), dir. Gianandrea Noseda. Production de David McVicar. 12 Janvier 2019.

Le chef d’œuvre de Cilea illustre la rivalité amoureuse entre la célèbre actrice Adrienne Lecouvreur et la duchesse de Bouillon pour Maurice de Saxe (ce dernier rôle a été créé par Caruso).  

Il est ici servi par une distribution électrisante (Netrebko au sommet de son art,  et Rachvelishvili actrice accomplie à la voix opulente, leur duo de l'acte II est une merveille d'imbrication;  Beczala idéal dans le rôle) et une superbe production de McVicar qui respecte la temporalité historique (18ème s.) avec de somptueux costumes et des décors riches.  La direction musicale de Noseda est à l'unisson magnifiant une partition pleine d'imagination harmonique et des chanteurs superlatifs.

Une soirée brillante incontournable !

Vendredi 12 Mars
Zandonai  Francesca da Rimini
Avec Eva-Maria Westbroek (Francesca), Marcello Giordani (Paolo), Robert Brubaker (Malatestino) et Mark Delavan (Gianciotto), dir. Marco Armiliato. Production de Piero Faggioni. 16 Mars 2013.

D’après la pièce de Gabriele d’Annunzio fondée sur les amours tragiques immortalisées par Dante (chant V de l'enfer de la Divine Comédie), cet opéra, créé en 1914, fut, à juste titre, le sommet de la carrière de Zandonai, un élève de Mascagni, et un très grand succès.  

Sa musique, riche et raffinée, presque symphonique s'inspire de Richard Strauss (Chevalier à la rose), de Wagner (Tristan)et de Debussy (Pelléas) décrivant bien les atmosphères. Elle propose nombre de pages somptueuses, notamment un IIIème acte remarquable et de beaux duos.

La production du Met est superbe (décors pré-Raphaélites et costumes) et les chanteurs d'excellent niveau (Westbroek mais aussi les deux "méchants frères" chantés par Brubaker et Delavan à la perfection).  

A (re)découvrir

Samedi 13 Mars
Giordano Fedora
 Avec Mirella Freni (Fedora Romazov), Ainhoa Arteta (Olga), Plácido Domingo (Loris) et Dwayne Croft (de Siriex) Jean-Yves Thibaudet (piano solo), dir. Roberto Abbado. Production de Beppe De Tomasi. 26 Avril 1997.

Inspirée d'une pièce de Victorien Sardou dans la mouvance de la russo-manie (réforme et mort d'Alexandre II, alliance franco-russe et de la découverte de la littérature russe), cet opéra mélodramatique a été le cheval de bataille des grandes divas véristes (Renata Tebaldi, Magda Olivero) et Caruso a créé le rôle de Loris! 

Cette somptueuse production, faite en l'honneur et à la demande de Freni, offre une opportunité de voir cette œuvre rarement donnée hors d'Italie malgré ses qualités musicales et ses airs de bravoure. Le charisme vocal de Freni (la "dernière prima donna") et Domingo et leur connaissance de la tradition opératique portent cette représentation pleine de splendeur vocale.

A découvrir

Dimanche 14 Mars
Giordano Andrea Chénier
Avec Maria Guleghina (Maddalena de Croissy), Luciano Pavarotti (Andrea Chenier), Juan Pons (Gérard), Wendy White (Bersi), Stephanie Blythe (Vecchia Madelon) et Michel Sénéchal (Inc’oyable), dir. James Levine. Production de Nicolas Joël. 15 Octobre 1996.

Une distribution de haut niveau, pour le trio de tête (Pavarotti  un modèle de diction et de précision) mais aussi dans les rôles secondaires (Sénéchal, Blythe, ...), et une production sobrement riche de Nicolas Joel (l'ancien directeur du Capitole et de l'Opéra de Paris décédé l'an dernier) font de cet opéra "historique"  (la fin du poète André Chénier deux jours avant Robespierre) servi par l'invention musicale de son compositeur et des airs mémorables un spectacle à voir et entendre avec plaisir.

Lundi 15 Mars
Puccini Tosca
 Avec Sonya Yoncheva (Flora Tosca), Vittorio Grigolo (Cavaradossi), Željko Lučić (Scarpia) et Patrick Carfizzi (sacristain), dir. Emmanuel Villaume. Production de David McVicar. 27 Janvier 2018.

Le succès de Giordano avec Fedora incita Puccini à adapter cette autre pièce de Victorien Sardou conçue pour Sarah Bernhardt. 

Dans cette version ultra classique avec costumes d'époque et immenses décors, Yoncheva, une des plus grandes sopranos actuelles, est une diva parfaite, coquette et passionnée, fragile et agitée face à un Grigolo sauvage et impétueux convaincant dans le rôle du peintre amoureux et rebelle tandis Lučić incarne un Scarpia idéal méchant à souhait.

La longue ovation qui conclue le spectacle atteste du plaisir ressenti par le public new-yorkais à écouter cette nouvelle production. 

Tosca étant un des opéras les plus joués au monde les comparaisons de mise en scène et de chanteurs ne manquent pas. Arte Concert propose en ce moment une intéressante relecture de Christophe Honoré avec deux sopranos  américaines, Catherine Malfitano, une grande interprète "historique" et Angel Blue,  la nouvelle "Leontyne Price" (dixit Domingo). 

Belles soirées, ou matinées, lyriques 

Jean-François Bourdeaux