Nous nous retrouvons vendredi 6 décembre au Théâtre des Champs Elysées à 19h30 pour (re)voir et (ré)entendre une œuvre bouleversante, chef d’œuvre inoubliable de l’opéra français et de l’opéra mondial du XXè siècle, née d’un événement historique, transposée par un grand prosateur, Georges Bernanos et mis en musique par un compositeur amoureux des mots, Francis Poulenc, dans la mythique mise en scène d’Olivier Py.
La vie de Francis Poulenc (1899 – 1963)
Né à Paris le 7 janvier 1899, d’un père aveyronnais, industriel de la chimie et catholique fervent, et d’une mère parisienne, pianiste amateur, issue d’une famille d’artisans d’art, et indifférente à la religion. Les origines respectives de ses parents, et leurs goûts différents, se retrouveront dans ceux, apparemment contradictoires et paradoxaux, d’un compositeur à la fois « voyou » et « moine » (Claude Rostand) : bal musette, marchands de frites et guinguettes, « souvenirs d’enfance très chers » de Nogent sur Marne où ses grands-parents maternels avaient une maison de campagne, comme musique religieuse, influence paysanne tardive d’un père « magnifiquement croyant ».
Contrairement à ses pairs, Francis Poulenc n’eut pas de véritable formation théorique, son père refusant qu’il aille au conservatoire avant d’avoir fini ses études secondaires contre l’avis d’une mère, plus artiste, qui avait repéré les dispositions de son fils et lui avait fait donner des cours. A huit ans, il a la révélation de la musique avec les Danses sacrée et profane (Debussy), découvre le Voyage d’hiver (Schubert) à onze, et le Sacre du printemps (Stravinsky) à quatorze. Son oncle maternel, « Papoum », lui fera aussi découvrir le théâtre.
A quinze ans, un an avant le décès de sa mère, il fait une rencontre essentielle : Ricardo Vines, pianiste catalan extraordinaire, particulièrement ouvert à la musique contemporaine, créateur de la plupart des grands chefs d’œuvre de Debussy et de Ravel, dédicataire d’œuvres de Falla, de Granados et de Satie et qui participe aussi à la création d’œuvres de Fauré et du Groupe des Six. Non seulement il fera de Francis un pianiste remarquable mais il deviendra aussi pour lui un véritable maître spirituel qui lui ouvre des amitiés musicales (Auric) et les portes de ce monde. Peu après le décès de son père en 1917, une amie d’enfance, lui fait connaître une librairie fréquentée par tout ce que la capitale comptait de poètes et de littérateurs Aragon, Eluard, Breton, Gide, Valéry, Claudel et Joyce. lui ouvre Les portes de la littérature lui sont ainsi ouvertes. De là il passera aux arts plastiques rencontrant Picasso, Braque, Modigliani, Derain et Marie Laurencin …
A peine adulte, il est ainsi plongé au cœur de la vie artistique parisienne et est reconnu dès son premier succès, la Rapsodie nègre (1917) : à vingt et un ans, il fait partie du groupe des Six mené par Cocteau et, surtout, Diaghilev, qui l’a repéré, lui commande un ballet, Les Biches (1924) qui lui assureront une reconnaissance internationale. Entretemps il a fait ses trois ans de service militaire, durant lesquels il continue à composer, avant d’obtenir enfin, auprès de Charles Koechlin, la solide formation musicale que l’autodidacte qu’il était recherchait depuis si longtemps. Suivent pendant une dizaine d’années, une série d’œuvres dans le style léger et frivole (Concerto pour Deux pianos, Chansons gaillardes) qui lui vaut une réputation, erronée, de « voyou » lui procurant cependant de belles commandes.
En 1934, il constitue, avec le baryton Pierre Bernac, un célèbre duo qui se produira dans le monde entier pendant vingt-cinq ans et pour lequel il compose quatre-vingt-dix Mélodies, forme musicale qu’il affectionne, il en composera cent-trente-sept, et dans laquelle l’amoureux des mots qu’il est excellera.
A l’été 1936, bouleversé par la mort horrible d’un ami compositeur, il visite le site et la « bien modeste chapelle » de Rocamadour, voisin du berceau paternel, visite qui le trouble et le ramène « à la foi de mon enfance » : il entamera dans l’après-midi même ses Litanies à la Vierge Noire dans lesquelles il a « essayé de rendre le côté dévotion paysanne qui m’avait si fort frappé dans ce haut lieu ». Dès lors, il se mettra à composer de la musique religieuse (le côté « moine ») sans cependant renier son autre côté, les deux influences s’interpénétrant et s’enrichissant de plus en plus. Il reconnait lui-même l’antinomie de l’esthétique profane par rapport à l’esthétique religieuse : « toute ma musique religieuse tourne le dos à mon esthétique parisienne banlieusarde. Quand je prie, c’est l’Aveyronnais qui reparait en moi. Evidence de l’hérédité ».
Pendant la Seconde Guerre Mondiale il « résiste musicalement » en mettant en musique les poèmes édités en clandestinité par Aragon et Eluard. Les années suivantes verront des œuvres variées (L’Histoire de Babar, les Mamelles de Tirésias) et enfin l’épanouissement de sa personnalité musicale avec trois de ses chefs d’œuvre : les Dialogues des Carmélites, la Voix humaine et le Gloria.
Le 30 janvier 1963, l’homme de Nogent sur Marne et de Rocamadour décède, terrassé par une crise cardiaque dans son appartement parisien rue de Médicis.
L’œuvre
L’œuvre de Poulenc demeure plus que toute autre attachée au mot et à la voix.
Il est un amoureux du verbe et de la phrase, c’est une passion de jeunesse « je n’ai jamais su me passer de poésie ; à l’âge de dix ans je me récitais avec délice Apparition de Mallarmé ». Passionné de littérature, il sait choisir les auteurs le plus remarquables souvent poètes mais aussi tenants d’une littérature plus austère (Bernanos). Servir leur plume en une prosodie musicale fidèle reste son objectif premier. Il le fera dans les genres musicaux les plus divers, du monologue à l’opéra, de la mélodie au chœur profane. « Je suis décidément un homme de théâtre » (lettre à Pierre Bernac 1958) dit-il souvent alors que sa première œuvre lyrique date de 1944 (les Mamelles) …
Mais il est surtout l’homme de la voix « je suis un homme de chant sous toutes formes ». La musique vocale occupera ainsi la première place dans l’œuvre de Poulenc avec 137 mélodies, trois œuvres lyriques, œuvres chorales profanes ou religieuses, a capella ou avec orchestre.
A l’amour du texte s’allie ainsi celui de la prosodie : Poulenc recherche la transcription musicale parfaite : « la transposition musicale doit être un acte d’amour et jamais un mariage de raison ». En mettant un texte en musique, son but est d’en éclairer le contenu et la signification, ce qui lui vaut l’hommage de ses amis poètes
« Francis je ne m’écoutais pas, Francis je te dois de m’entendre » (Paul Eluard).
« Son don mélodique, qui était l’essence même de sa musique, lui inspirait la courbe musicale propre à amplifier l’expression de la phrase littéraire » (Pierre Bernac).
La genèse des Dialogues
En 1950, Poulenc a envie de composer une grande œuvre lyrique : il a écrit tant de mélodies et seulement un opéra, les Mamelles de Tirésias d’après son cher Apollinaire. Alors qu’il a toujours choisi lui-même ses textes, l’idée de mettre en musique les Dialogues lui viendra ici d’un autre. En mars 1953, à l’occasion d’une tournée à Milan, le directeur de l’éditeur Ricordi lui propose d’écrire une musique de ballet. Lui répliquant qu’il serait ravi de trouver un livret pour un opéra, il se fait proposer Dialogues des Carmélites. Deux jours après, à Rome, il a acheté et lu le drame, testé sa capacité à mettre en musique une longue phrase de la Prieure, conclu que
« évidemment c’est fait pour moi, c’est fait pour moi » et télégraphié son accord « avec enthousiasme ». Trois mois plus tard, il effectue, « avec un immense respect », le découpage du texte, le réduit de moitié, commence la composition en août 1953 et termine l’orchestration en juin 1956. Entretemps, il lui aura fallu obtenir non sans mal les droits d’utilisation du livret et se relever d’une profonde dépression…
Tout procède ici d’un événement historique : le 17 juillet 1794, seize des dix-neuf Carmélites de Compiègne sont guillotinées. Sœur Marie de l’Incarnation, absente le jour de leur arrestation, écrit une relation de leur martyre. En 1937, l’écrivaine catholique allemande Gertrud von Le Fort en fait une nouvelle, La dernière à l’échafaud, en créant un personnage, Blanche de La Force, jeune novice fragile et remplie de peurs. Après la deuxième guerre mondiale, le père Bruckberger décide d’en tirer un film et demande à Georges Bernanos d’en écrire les dialogues. Mais son projet n’est pas retenu. Retrouvé un an après le décès de l’écrivain, le texte est publié puis porté au théâtre avec grand succès. C’est de celui-ci que Poulenc créera son livret, sans ajout mais avec des coupes drastiques pour resserrer l’action autour de l’aventure spirituelle de Blanche.
Chacun des quatre auteurs a laissé une part de lui dans le livret : Mère Marie dans le récit de ce qu’elle a vécu, von Lefort dans le nom donné à l’héroïne, Bernanos prêtant les horreurs de son propre cancer à Mme de Croissy et Poulenc proclamant « Blanche c’était moi » …
Les Carmélites sont « essentiellement, une pièce sur la grâce et le transfert de la grâce » (Jean Roy). Dans la théologie catholique, les saints, vivants et morts, forment une communauté spirituelle où l’on peut intercéder pour les autres, et même pour les pécheurs. D’où les prières pour les morts. Pour Bernanos et Sœur Constance, son porte-parole, le transfert de la grâce peut aller jusqu’à un échange de destinées et de morts. Indépendamment de ce puissant message religieux, cette œuvre atteint l’universel par les éléments de la condition humaine qu’elle illustre : la peur, la mort, le sacrifice, l’espoir, les choix à effectuer face à des circonstances extrêmes. Ce qui en a fait son succès mondial.
La musique
Poulenc dédie cette œuvre « à la mémoire de ma mère qui m’a révélé la musique, de Debussy qui m’a donné le goût d’en écrire, de Monteverdi, de Verdi et de Moussorgski qui m’ont servi de maîtres ». Au-delà de cette référence explicite à ces maîtres de l’expression simple et naturelle, Poulenc est aussi influencé par Massenet et son art de faire chanter la langue française avec éloquence. Il s’inscrit ainsi dans la longue tradition lyrique française.
Sa musique est ici clairement une synthèse des différents courants de son œuvre (légèreté, goguenardise, gravité religieuse), traitant dans la forme profane de l’opéra un sujet profondément religieux. Elle est extrêmement lisible et écrite dans un langage musical d’une grande clarté, résolument tonal. On y retrouve la patte du mélodiste, amoureux du verbe, voulant que chaque mot soit compris et faisant en sorte que l’écriture vocale ne soit jamais couverte par l’orchestre. Bien qu’il n’appréciât pas Wagner, il utilisera, comme Debussy, quelques leitmotive pour illustrer des thèmes, personnages ou émotions, la peur notamment.
La création et le devenir
Créés le 26 janvier 1957 au Teatro alla Scala de Milan, Dialogues des Carmélites, opéra en trois actes et douze tableaux, y triomphent, succès poursuivi à la création de la version française à l’Opéra de Paris le 21 juin 1957. Complétée d’intermèdes entre les actes pour tenir compte des changements de décor, l’œuvre entame son tour du monde et devient une pièce du répertoire dans de nombreux pays. Considérée comme un des grands chefs d’œuvre de l’opéra lyrique du XXè siècle, elle a attiré les plus grands noms (Régine Crespin, Leontyne Price, Joan Sutherland, ...).
C’est dans la célébrée mise en scène d’Olivier Py, donnée pour la première fois au TCE en 2013 où elle a été encensée par la presse et le public, « meilleur spectacle de l’année », que nous la (re)verrons, avec la fine fleur du chant français et des chanteuses qui avaient déjà participé à l’aventure de 2013 cette fois dans des rôles différents.
***
L’argument
Acte I
Premier tableau : Avril 1789, dans la bibliothèque du Marquis de la Force.
Les premiers signes de la Révolution à venir grondent. Le Chevalier s’inquiète de sa sœur, Blanche, auprès de leur père (« Où est Blanche ?»), son carrosse ayant été bloqué. Ceci rappelle au Marquis une circonstance dramatique similaire qui entraîna la mort en couches de son épouse. Le Chevalier s’inquiète cependant moins
de la sécurité physique de sa sœur que de sa paix intérieure. Blanche, qui a honte de la peur maladive qui la ronge et s’effraie de l’ombre d’un laquais, annonce à son père qu’elle a décidé d’entrer au Carmel.
Deuxième tableau La parloir au Carmel de Compiègne.
La Prieure, Madame de Croissy, dans un fauteuil, reçoit Blanche pour mettre sa vocation à l’épreuve (« N’allez pas croire »). Elle la prévient brutalement contre les mauvaises raisons qui pourraient guider son geste : l’héroïsme, la mortification, l’espoir d’un refuge contre le monde, affirmant « ce n’est pas la Règle qui nous garde, c’est nous qui gardons la Règle ». Blanche persiste, et le nom de Carmélite qu’elle s’est choisi fait sursauter la Prieure : Sœur Blanche de l’Agonie du Christ (« Si fait ma Mère, je voudrais m’appeler »).
Troisième tableau Le tour à l’intérieur du couvent.
La jeune Sœur Constance de Saint Denis, de corvée de tour avec Blanche, ne cesse de babiller (« Tiens voilà notre gros fer à repasser »). Blanche est choquée car la Prieure est mourante. Constance, toujours pleine de bonne humeur, semble recevoir l’idée de la mort sereinement et se propose de donner leurs vies en échange de celle de la Prieure. D’autant que, dès sa rencontre avec Blanche, elle a pressenti avec joie qu’elles mourraient jeunes et toutes deux ensembles. Cette idée révolte Blanche jusqu’à la colère (« Quelle idée folle et stupide ! »).
Quatrième tableau Dans l’infirmerie
Avec Mère Marie de l’Incarnation à son chevet, la Prieure voit arriver sa propre fin avec angoisse- une angoisse décuplée par l’incompréhension : ses longues années de méditation auraient dû la prémunir … (« Je suis seule, ma Mère, absolument seule »). lnquiète de la ferveur morbide de Blanche, qui a confirmé vouloir prendre le nom de Carmélite qu’elle-même n’avait pas osé porter, elle confie Blanche à la Sous-Prieure. (« C’est au nom de l’obéissance »). Les visites se succèdent : Blanche pour recevoir l’ultime bénédiction, puis le médecin, monsieur Javelinot, qui confie à Mère Marie que la fin est proche. L’agonie de la Prieure est terrible, jusqu’à la vision d’un Carmel dévasté et martyr, jusqu’au blasphème. (« Je viens de voir notre chapelle »). Mère Marie décide d’interdire les visites, mais un regard de la Prieure la convainc de laisser rentrer Blanche. Elle reçoit les dernières paroles de Madame de Croissy, qui demande pardon d’avoir cédé à la peur et, sanglotant, tente en vain de les reformuler (« La Révérende Mère désire »).
Acte II
Premier tableau chapelle du Carmel
Blanche et Constance veillent le corps de la Prieure. Quand Constance part chercher leurs remplaçantes, Blanche prend peur, se dirige vers la porte et tombe sur Mère Marie. La Sous-Prieure lui fait durement comprendre sa faute (« Que faites-vous ? N’êtes-vous pas de veille ? ») avant de la raccompagner dans sa cellule où le lendemain elle pourra demander pardon à Dieu.
Interlude 1
En déposant des fleurs sur le cercueil de la Prieure, Constance et Blanche échangent, la jeune novice exprimant le souhait de voir Mère Marie élue (« Ce que nous appelons hasard, c’est peut-être la logique de Dieu. » Constance). Constance confie à Blanche son idée que Madame de Croissy a eu la mort difficile d’une autre, et que cette autre aura en retour la mort sereine qui aurait dû être celle de la Prieure (« On ne meurt pas chacun pour soi, mais les uns pour les autres, ou même les uns à la place des autres »).
Deuxième tableau La salle du Chapitre
Contre toute attente, c’est Madame Lidoine, une terrienne, qui est devenue Prieure. Elle se signale par un discours franc, simple et imagé (« Mes chères filles »). Consciente des temps difficiles, elle prévient la communauté contre la tentation du martyre, lui recommande les vertus modestes et lui demande de prier.
Interlude 2
De violents coups de sonnette annoncent l’arrivée du Chevalier de la Force, en départ pour l’exil, qui vient rendre une visite d’adieu à sa sœur. La nouvelle Prieure ordonne à Mère Marie d’assister à l’entretien (« Je désire que vous assistiez à l’entretien »).
Troisième tableau le parloir
Le Chevalier est surpris par l’accueil distant de sa sœur et ressent que, même au couvent, la peur continue d’habiter Blanche (« Heureuse, peut-être, mais non délivrée »). Il voudrait la décider à se placer en sûreté mais Blanche qui ne veut plus être le « petit lièvre » de leur enfance, refuse de le suivre ne niant plus sa peur mais estimant qu’elle est devenue sans objet (« Où je suis, rien ne peut m’atteindre. (…) Nous allons combattre chacun à notre manière, et la mienne a ses risques et périls comme la vôtre »). Résigné, il la quitte. Blanche alors défaille (« Remettez-vous Sœur Blanche » Mère Marie) et révèle à Mère Marie combien cette visite, et la pitié marquée par son frère, l’ont affecté et combien elle a réagi avec orgueil.
Quatrième tableau la sacristie du Carmel
L’Aumonier rassemble les Sœurs pour une dernière prière : il a été proscrit mais vivra caché, sous un déguisement, proche du couvent. Face à l’interdiction des prêtres, Mère Marie évoque la possibilité du martyre, idée fermement dénoncée par la Prieure, plus encline à accepter le Destin (« Vous m’avez mal entendue »). La foule assaille le couvent, qui doit ouvrir ses portes à deux Commissaires du peuple : l’évacuation des locaux et l’expropriation ont été décrétées. Mère Marie tient tête vaillamment au Premier Commissaire, goguenard et injurieux (« Vivre n’est rien ») qui quitte les lieux sans violence avouant qu’il est un bon chrétien obligé d’hurler avec les loups. Mère Jeanne annonce le départ pour Paris imminent de la Prieure (« Mes Sœurs, notre Révérende Mère »), et confie à Blanche une statue du Petit Roi de Gloire pour lui donner du courage. Effrayée par le « ça ira ! » qui retentit à l’extérieur, Blanche laisse échapper la statue qui se brise. Elle en est terrifiée.
Acte III
Premier tableau la chapelle dévastée
En l’absence de la Prieure, Mère Marie propose à la Communauté de faire le vœu du martyre, pour le Carmel et le salut de la Patrie (« Mes filles, je propose »). Devant leur peu d’enthousiasme, elle précise que la décision devra être unanime. L’Aumonier reçoit alors séparément le vote de chaque Sœur et annonce une opposition. Alors que toutes regardent Blanche, persuadées qu’il s’agit de sa voix, Sœur Constance se dénonce (« Il s’agit de moi ! ») avant de retirer son opposition. L’Aumonier reçoit le nouveau vote, unanime, en commençant par les deux plus jeunes … Blanche s’enfuit subrepticement à la faveur du brouhaha.
Interlude 1
Trois officiers arrivent pour annoncer à la Prieure, revenue, et aux religieuses » réduites à l’état laïc qu’elles pourraient bientôt « jouir de nouveau des bienfaits de la liberté, sous la surveillance des lois » tout en les prévenant que « la Nation aura(it) désormais les yeux sur elles ». La Prieure demande à ce que le prêtre qui devait célébrer la messe soit prévenu. Après un bref conflit avec Mère Marie, et bien qu’absente lors du vœu collectif, elle assure les religieuses de son soutien (« Chacune de vous répondra de son vœu devant Dieu, mais c’est moi qui répondrai de vous toutes »).
Deuxième tableau la bibliothèque du Marquis de La Force saccagée
Dans sa maison natale ravagée, Blanche survit à demi-morte de peur et, habillée en simple servante, prépare sa cuisine. Mère Marie l’a retrouvée et lui demande de la suivre immédiatement (« Oui, je viens vous chercher »). Blanche est écrasée par la peur, la souffrance, son père a été guillotiné, et l’humiliation : elle est désormais au service des nouveaux habitants du lieu qui l’ont frappée. (« Je pleure de vous voir si bonne »). Au nom de Sœur Blanche de l’Agonie du Christ, Mère Marie lui donne une adresse et lui enjoint de l’y retrouver le soir même.
Interlude 2
Blanche apprend par hasard que les Carmélites ont été arrêtées. Sans dévoiler son identité, elle s’éclipse en tremblant.
Troisième tableau une cellule à la Conciergerie
Les Carmélites ont passé leur première nuit en prison (« Mes filles, voilà que s’achève »). La Prieure soutient le moral des Sœurs et assume leur vœu. Sœur Constance semble toujours persuadée que Blanche va revenir (« Elle reviendra »). Un geôlier vient de leur lire leur condamnation à mort, seul le nom de Blanche ne figure pas dans le décret. La Prieure, en leur demandant une dernière fois l’obéissance, offre aux condamnées sa « maternelle bénédiction »
Interlude 3
Dans une rue du quartier de la Bastille, l’Aumonier informe Mère Marie, toujours libre, de la condamnation à mort ; il la dissuade de rejoindre la Communauté pour en partager le sort.
Quatrième tableau place de la Révolution
La foule excitée assiste à l’arrivée des prisonnières (« Oh ! Oh ! Ah ! Oh ! »), qui chantent le Salve Regina en montant à l’échafaud. Une à une, les voix disparaissent sous le couperet. Il ne reste plus que Constance (« O clemens … ») dont le visage s’irradie quand elle voit Blanche émerger de la foule et monter auprès d’elle. Sa voix est la dernière à retentir (« Deo patri sit gloria ») avant le silence et la dispersion de la foule.
***
Les principaux personnages et leurs voix
Poulenc aime éminemment la voix. Il a ici parfaitement distingué les voix de femmes pour tirer tout le parti des spécificités de chaque tessiture. Apparemment semblables, chacune des religieuses se distingue, avec son caractère, par sa vocalité.
Marquis de La Force : aristocrate un peu dépassé par les événements, plein de bonté, très attaché à la famille et cherchant à protéger sa fille qu’il met en garde contre « les conseils d’une dévotion exaltée » ; rôle court mais exigeant (baryton)
Chevalier de La Force : son fils, personnage complexe, est dans l’action à l’opposé de sa sœur qu’il aime et avec qui un lien très fort ancré dans l’enfance « petit lièvre » le lie ; il espère qu’ils pourront fuir ensemble, il échouera et sera le seul de sa famille à survivre en s’exilant (ténor).
Blanche de La Force : fille du marquis, sœur du chevalier, née dans des circonstances difficiles sa mère ayant accouché suite à une peur panique, la foule entourant son carrosse, et en est morte ; fragile, elle a peur de la vie (« peur de la peur elle-même »), cherche sans doute une mère de substitution, prend sans le savoir le nom de religieuse qu’avait initialement choisi la Prieure, mais meure avant d’avoir pris le voile ; la seule création fictionnelle, créée par Gertrude von Le Fort qui lui a donné son patronyme (soprano).
Madame de Croissy : Prieure du Carmel, aristocrate, elle a une haute idée de la fonction, elle arrive à la fin de sa vie après une longue et lente maladie (contralto)
Madame Lidoine : nouvelle Prieure, femme du peuple, pragmatique, terre-à-terre, discours d’humilité et de sincérité (soprano).
Mère Marie de l’Incarnation : Sous-Prieure du Carmel, personnage complexe d’une obédience presqu’aveugle, femme d’action et de commandement, orgueilleuse mais aussi prête aux renoncements, elle est aux prises avec tous les personnages de l’opéra et est chargée par la Prieure du sort de Blanche (soprano lyrique)
Sœur Constance de Saint Denis : d’origine campagnarde, elle incarne la simplicité et la joie de vivre, pleine de fraîcheur, elle est très philosophe et sincère ; tessiture aiguë (soprano léger)
Discographie sélective
Pierre Dervaux (dir): Denise Duval (Blanche), Denise Scharley (Mme de Croissy), Régine Crespin (Mme Lidoine), Rita Gorr (Mère Marie), Liliane Berton (Constance) –Orch de l’opéra de Paris-1958- EMI : une version ancienne qui reste la référence.
Kent Nagano (dir): Catherine Dubosc (Blanche), Rita Gorr (Mme de Croissy), Rachel Yakar (Mme Lidoine), Martine Dupuy (Mère Marie), Brigitte Fournier (Constance) - José van Dam (le marquis de La Force) Orch de l’opéra de Lyon-1990-Erato
Jean-Pierre Marty (dir): Felicity Lott (Blanche), Régine Crespin (Mme de Croissy), Jocelyne Chamonin (Mme Lidoine), Geneviève Barrial (Mère Marie), Anne-Marie Rodde (Constance) –Orch national de France-1980-INA : à entendre pour Felicity Lott et Régine Crespin.
Vidéographie
Jan Latham-Koenig (dir), Marthe Keller (mes) : Anne Sophie Schmidt (Blanche), Nadine Denize (Mme de Croissy), Valérie Millot (Mme Lidoine), Hedwig Fassbender (Mère Marie), Patricia Petibon (Constance) – Didier Henry (le marquis de La Force) Orch philharmonique de Strasbourg-1999. DVD Arthaus : pour la qualité d’ensemble, la fidélité au style français, la mise en scène simple. Captation cependant imparfaite.
Simone Young (dir), Nikolaus Lehnhoff (mes) : Alexia Voulgaridou (Blanche), Kathryn Harries (Mme de Croissy), Anne Schwanewilms (Mme Lidoine), Gabriele Schnaut (Mère Marie), Jana Büchner (Constance) – Wolfgang Schöne (le marquis de La Force) Orch philharmonique de Hambourg-2008. DVD Arthaus : une très belle version avec un superbe orchestre.
Jérémie Rohrer (dir), Olivier Py (mes) : Patricia Petibon (Blanche), Rosalind Plowright (Mme de Croissy), Véronique Gens (Mme Lidoine), Sophie Koch (Mère Marie), Sandrine Piau (Constance) – Philippe Rouillon (le marquis de La Force) Philharmonia orchestra de Hambourg-2014. DVD Erato : probablement la version moderne de référence.
Bibliographie
Renaud Machart : Poulenc, coll. Solfèges Seuil Editeur, 1995.
Francis Poulenc : Entretiens avec Claude Rostand Julliard 1954
Avant-Scène Opéra N°257 (juillet 2010) : Les Dialogues des Carmélites, livret, analyses, études intéressantes.
Georges Bernanos : Dialogues des Carmélites coll Points Ed Seuil
Gertrud von Le Fort : La dernière à l’échafaud Julliard l’Âge d’homme 1987
Jean-François Bourdeaux
Président du Club Opéra
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