[Club Littérature] Laurent Seyer, D'étranges hauteurs (octobre 2022)
« Ce livre m’a littéralement transportée », il « devrait plaire à tous ceux qui ont aimé Frison-Roche » : voilà, c’est dit ! Hélène Bermond nous explique pourquoi il faut lire D’étranges hauteurs de Laurent Seyer, paru en octobre 2022 chez Finitude.
Le livre
L’auteur
Diplômé de Sciences Po en 1986, Laurent Seyer a fait carrière dans la banque, occupant différents postes aux quatre coins du monde. Aujourd’hui il vit un pied en région parisienne, l’autre dans les Landes. « D’étranges hauteurs » est son troisième roman, publié en Octobre 2022 chez Finitude, une maison d’édition bordelaise.
Présentation du livre par l’éditeur
Jean est seul, caché par quelques pierres sur le flanc de la montagne. La colonne de blessés et les derniers maquisards rescapés ont dû le laisser là. Amputé de la jambe gauche quelques jours plus tôt, il les retardait trop. Il a mal, peur et soif. Alors il se raccroche au souvenir de sa jeune femme, à sa fille qui vient de naître et qu’il ne connaît pas encore. Il ne regrette pas vraiment de s’être engagé, mais quand même, il n’avait pas imaginé ça. La mort, il y a pensé, bien sûr. Mais on fait quoi, estropié, unijambiste à vingt-trois ans ? Jean regarde le soleil se lever, il est si beau sur la montagne ce matin encore.
Cinquante ans après la mort d’un père qu’il a à peine connu, Laurent Seyer lui offre une nouvelle vie et, par le prodige du roman, comble les blancs laissés par la mémoire.
Quelques mots ajoutés par l'auteur en vidéo :
-Et alors, finalement, roman ou récit ?-Le fait d’avoir écrit d’abord mes deux premiers livres m’a aidé à avoir la bonne distance avec cette histoire personnelle, cette histoire familiale. Je ne voulais pas raconter l’histoire de mes parents, je voulais écrire l’histoire de deux héros romanesques.
Deux extraits choisis par Hélène
J'ai l'impression que la vie s'évapore à toute vitesse et qu'elle peut à chaque instant s'échapper pour de bon, sans prévenir. Tenir, c'est un joli verbe, tenir, il ferait à lui seul une devise de vie, comme un résumé de la vie elle-même ; tenir. Tenir sans se demander pourquoi, sans chercher de raisons, laisser cette énergie vitale déposée en nous suivre son cours et se renouveler naturellement, se contenter d'en être le réceptacle docile, sans s'inquiéter d'où elle vient ni où elle nous mène.Depuis le début de la guerre, il y a beaucoup d'hommes qui n'ont pas tenu, pas tenu leurs promesses, pas tenu leurs engagements, pas tenu leur parole et, dans la vie, il y a ceux qui ne savent pas se tenir, ne se tiennent pas bien, ne tiennent pas la route. Moi, je dois tenir. Voilà le programme. Juste tenir. Tenir.
Le fils pressentait que plus tard, il regretterait de ne pas l’avoir davantage interrogé. Il aurait voulu savoir comment son père avait perdu sa jambe, il avait entendu sa mère dire qu’il avait passé une semaine dans une grotte, seul dans la montagne, avec la jambe coupée, il aurait aimé qu’il lui raconte, qu’il lui dise où c’était et comment il avait fait pour tenir, mais son père allumait une cigarette, tirait dessus, appuyait son dos et sa nuque contre la chaise, et son regard s’évadait vers des cimes où son fils, sa béquille, n’osait pas lui demander de l’emmener.
L’avis d’Hélène
Un hommage au père et à la mère de l’auteur
Ce livre m’a littéralement transportée. J’ai choisi de le lire pour l’histoire du maquisard et le récit épique que laissait présager la 4ème de couv. J’y ai trouvé bien plus que cela.
C’est parce qu’il souhaitait connaitre l’histoire de son père que l’auteur s’est lancé dans des recherches historiques sur la Résistance dans l’Oisans. Il en a résulté une vraie re-découverte de son histoire familiale. Écrire ce livre, il le dit en épilogue, lui a permis de rencontrer son père mais aussi de retrouver sa mère. Il leur rend à tous les deux un hommage vibrant, avec simplicité et sincérité.
Le père, Jean, « rencontre de l’histoire individuelle avec l’Histoire »
Le parcours de Jean, c’est bien sûr la rencontre de l’histoire individuelle avec l’Histoire. En juillet 1944, il fait partie des blessés évacués de l’Hôpital FFI de l’Alpe d’Huez. Nous suivons heure par heure le récit de son calvaire dans la montagne, caché pendant cinq jours derrière un rocher, à quelques mètres des combats, parce que son état de santé ne permet pas de l’emmener plus haut avec les autres. Cinq jours pendant lesquels il lutte contre le froid, la faim, la douleur, réfléchit sur le sens de son engagement, le chemin que va désormais prendre sa vie. Le tout dans un paysage dont la beauté rend plus cruelle encore la situation dans laquelle il se trouve. L’histoire de Jean, c’est une histoire de résistance et de résilience.
Le récit historique est documenté et ancré dans la géographie. Inutile de consulter Géoportail pour s’imaginer sur place et avoir le sentiment d’avoir parcouru tous les lieux évoqués ! J’ai particulièrement aimé la façon dont l’auteur décrit la beauté et la dureté de la montagne.
L’auteur nous propose aussi de beaux portraits des compagnons de maquis de Jean : le médecin commandant l’hôpital, son épouse toujours aux côtés des blessés malgré ses huit mois de grossesse, l’aviateur américain lui aussi toujours fidèle au poste….
Avec la mère, des scènes parfois cocasses et toujours pleines de tendresse
L’autre héroïne du roman, c’est Odette, la femme que Jean épousera après la guerre. Héroïne, dans les deux sens du terme : parce qu’elle est le deuxième personnage central et parce que cette femme se révèle au fil des pages avoir une force d’âme hors du commun.
Pour parler d’Odette, l’auteur a choisi de dresser des tableaux dans l’ordre inverse de la chronologie, ce qui crée une tension narrative et un jeu entre l’auteur et le lecteur qui m’ont particulièrement séduite, puisqu’on apprend des éléments de l’histoire des deux personnages avant qu’ils les vivent. On fait sa connaissance le jour de son décès en 2016 et on remonte le temps jusqu’en 1949, date de sa rencontre avec Jean. On connait donc très vite la suite du parcours de Jean et les destinées de sa famille.
Le portrait d’Odette se dessine peu à peu, la rendant à chaque page plus attachante. On s’amuse notamment des attentes et réactions de cette femme très pieuse, surprise par les choix de vie de ses enfants, parfois si éloignés de son propre référentiel. Ce qui donne lieu à des scènes cocasses et pleines de tendresse dans plusieurs chapitres.
Pourquoi ce livre devrait vous plaire : parce qu'il se dévore de la première à la dernière page !
« D’étranges hauteurs » nous propose un rendez-vous avec la montagne et avec l’Histoire et devrait plaire à tous ceux qui ont aimé Frison-Roche (j’ai beaucoup pensé à Les Montagnards de la Nuit). Un récit bien mené, dans un style alliant efficacité et poésie. Une rencontre avec des hommes et des femmes qui sans doute auraient espéré vivre une vie différente mais qui ont su faire face à leur destin.
Ce livre nous offre un mélange de souffle épique et d’intimité familiale. Il se dévore de la première à la dernière page.
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