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Note de présentation - Semele

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11/02/2025

Nous nous retrouvons, le mardi 11 février 2025 au Théâtre des Champs Elysées à 19h30 pour découvrir cet « opéra anglais, appelé oratorio », une des œuvres les plus originales de Georg Friedrich Haendel (1685-1754), un joyau de la scène musicale et le plus grand chef d’œuvre de l’opéra anglais.

Le compositeur

Né à Halle en Allemagne, formé en Italie, ayant connu la gloire à Londres, parcourant constamment l’Europe, Georg Friedrich Haendel fut un compositeur et un impresario très fécond à la vaste culture musicale qui composa plus de quarante opéras avant qu’une nouvelle réforme, et l’évolution de la concurrence, ne le poussent vers la composition d’oratorios, tant sacrés que profanes en langue anglaise, genre dont il devint le maître incontesté et dont Semele atteste la richesse. Pragmatique, et en cela l’opposé de Jean-Philippe Rameau son alter ego français, il préférera toujours la pratique à la théorie, la composition aux traités d’analyses. Réalisant la synthèse de l’art européen de son époque et combinant habilement traditions allemande, française, italienne et anglaise, il explore dans ses œuvres lyriques toute la palette des émotions et des sentiments humains. Semele réunit ainsi quelques-uns des morceaux de musique les plus expressifs jamais écrits sur le grand thème de l’amour.

Genèse de l’œuvre

Thème connu par deux fables du troisième livre des Métamorphoses d’Ovide, « les amours de Jupiter et de Sémélé » ont inspiré quantité d’auteurs souvent via la tragédie en machines de ce nom de l’abbé Claude Boyer de 1666 qui connut une grande postérité lyrique. En Angleterre, vers 1706, ce sera le grand poète et dramaturge William Congreve (1670-1729), dont Purcell utilisa par ailleurs deux pièces, qui écrit son seul  livret sur ce sujet, un des plus beaux livrets de l’histoire, pour le compositeur John Eccles. Cet opéra ne verra le jour qu’en 1972, victime, comme les autres opéras anglais de son époque, de la vague d’opera seria importés d’Italie qui se partageaient alors les faveurs du public.

Le livret de Congreve ayant été publié, il finit par se retrouver une trentaine d’années plus tard entre les mains de George Frideric Haendel. L’homme qui avait en 1711 imposé Rinaldo et l’opera seria à Londres et ainsi signé la mort de l’opéra anglais et qui, comble d’ironie, avait délaissé l’opéra italien depuis 1741 !

Un adaptateur inconnu, peut-être Newburg Hamilton qui avait déjà fait des adaptations pour le Saxon, ayant revu la structure en profondeur, et l’ayant complétée par d’autres poèmes de Congreve (dont l’élégie To sleep), la composition de ce joyau lyrique est bouclée le 4 juillet 1743, après un mois de travail et très peu de réemploi.

Une des singularités du livret est qu’il comporte deux histoires symétriques avec deux séries d’acteurs, les mortels (Ino, Athamas, Cadmus, le chœur, Sémélé) pour la première (acte I et dernières scènes de l’acte III) et les dieux (Jupiter, Junon, Iris, Somnus, les Zéphirs) et Sémélé pour la seconde (acte II et les sept premières scènes de l’acte III), seule Sémélé joignant les deux, et Ino pour une scène très particulière. On a dès lors pu lire dans la partie divine enchâssée le rêve d’Ino de supplanter sa sœur Sémélé dans le cœur d’Athamas … Il est vrai que le sommeil et ses manifestations (berceuse) se retrouvent abondamment (vingt fois !) dans cette œuvre.

Musicalement, la partition est merveilleusement variée : ouverture d’un exceptionnel raffinement, airs virtuoses, superbe représentation du sommeil, cantilène, richesse et souplesse formelles. On y trouve le plus grand nombre de récitatifs accompagnés de toute l’œuvre de Haendel et cinq ensembles, dont un quatuor « mozartien » et deux duos, mais aucun entre les amants ! Sémélé domine la partition avec neuf arias contre quatre au roi des dieux. Tenants de la tradition, Athamas et Junon chantent avec des da capo, rebelles Jupiter et Sémélé s’en affranchissent quand ils le peuvent …

Création et devenir

The Story of Semele (HWV 58), fut créé, à Londres, au Royal Theater Covent Garden, le 10 février 1744, à la manière d’un oratorio, avec la célèbre Elisabeth Duparc, dite la Francesina dans le rôle-titre.  Semele ne fut cependant exécuté que quatre fois, jusqu’au 22 février. L’œuvre suscita certes des commentaires élogieux, mais aussi des oppositions, le thème et le traitement étant jugé peu appropriés pour les concerts de Carême, le livret, plein d’esprit trop grivois et les valeurs morales trop chahutées pour un oratorio. Quant aux amateurs d’opéras, ils se sont sentis trahis par ce détournement vu comme une moquerie.

Remaniée, elle fut reprise le 1 er  décembre 1744 au King’s Theatre, dernier refuge de l’opéra italien, pour deux concerts, puis en mars 1762, à Covent Garden, en version « de concert » avec de nombreuses coupures. Il faudra attendre 1925 pour que l’œuvre soit entièrement mise en scène à Cambridge, en 1959 au Sadler’s Wells et 1982 pour une reprise à Covent Garden. En France, une version scénique est donnée en 2004 au TCE (Minkowski/Mc Vicar) et reprise en 2010 (Christophe Rousset). La version que nous verrons est une nouvelle co-production avec le Royal Opera House Covent Garden dont le directeur signe la mise en scène.

Argument

(d’après Kobbé, Tout l’opéra, Laffont)

Acte I Le temple de Junon, à Thèbes.

Semele, fille du roi Cadmus, est fiancée à Athamas, prince de la Béotie voisine, mais elle aime secrètement Jupiter qui lui est apparu sous un déguisement. Le prêtre proclame que Junon a accepté un sacrifice, et la foule assemblée se réjouit (Lucky omens bless our rite – d’heureux présages bénissent nos rites). Son père et son fiancé prient Semele de ne pas retarder la cérémonie de mariage plus longtemps ; elle supplie les dieux de l’aider dans cette situation difficile (Oh Jove, in pity teach me which to choose – Jupiter dans ta miséricorde, dis-moi quel cours choisir).

Dans la scène suivante, parfois coupée, Semele exprime son chagrin (The morning lark – l’alouette) et Athamas son amour pour elle (Hymen, haste, thy torch prepare ! – Hymen, hâte-toi prépare ton flambeau). Ino craint que sa sœur ne cède aux prières d’Athamas, dont elle est également éprise. Semele la presse de lui confier toutes ses pensées. Cadmus sermonne Ino (Why dost thou thus untimely grieve ? – est-il donc temps de pleurer) qui lui répond. Semele et Athamas interviennent, l’aria de la basse se transformant en un magnifique quatuor. Le feu s’éteint sur l’autel, et le peuple accueille avec terreur ce signe du mécontentement divin (Avert these omens, all ye powers – Détournez ces présages, ô puissances). La flamme renaît et la statue de Junon s’incline. Quand elle s’éteint à nouveau, le peuple sait que ce n’est plus la colère de Junon, mais celle de Jupiter qui se manifeste. La foule paniquée se précipite hors du temple (Cease your vows, ’tis impious to proceed -Laissez-là ces serments impies). Cadmus, escorté de sa suite, entraîne SemeleAthamas et Ino restent seuls.

Ino avoue à Athamas l’amour qu’elle lui porte. Athamas est prêt à se sacrifier pour elle. (Duo You’ve undone me -Tu m’as vaincue).

Cadmus revient avec sa suite et annonce à Athamas avoir vu un aigle enlever Semele. Tous pleurent sa disparition jusqu’au moment où les prêtres saluent Cadmus et lui annoncent que la faveur de Jupiter est descendue sur sa famille (Hail Cadmus, hail ! – Salut à toi Cadmus) - explication qui ne souffre aucune contradiction, car Semele émerge d’un nuage pour les rassurer dans une aria magnifique (Endless pleasure, endless love Semele enjoys above – de plaisirs éternels et d’amours éternelles Semele jouit au ciel).

Acte II

Sinfonia

Un paysage agréable clos par une montagne tapissée de forêts et où jaillissent des cascades. Junon et iris apparaissent : Junon dans un char tiré par des paons, Iris sur un arc-en-ciel. Les deux sœurs descendent de leur engin et se rencontrent

Junon a chargé sa sœur Iris de retrouver Semele. Iris lui montre le palais que Jupiter a fait construire pour Semele près de Cythère. Junon se répand en invectives contre Semele, et crie vengeance. Iris lui raconte comment Jupiter a entouré sa nouvelle favorite de protections, dont deux dragons féroces. Dans une aria vigoureuse et déterminée (Hence, hence, Iris hence away – Partons Iris fuyons ces lieux), Junon dit à sa sœur qu’elles vont demander à Somnus, le dieu du Sommeil, de « sceller par le sommeil les yeux de ces dragons », et qu’ensuite elle se vengera.

Semele est endormie dans son palais, entourée d’Amours et de Zéphyrs

Cupidon chante l’aria (Come, Zephyrs, come while Cupid sings – Approchez Zéphirs, approchez tant que Cupidon chante). Semele s’éveille, et chante l’un des airs les plus fameux de Haendel (Oh sleep, why dost thou leave me ? – Ô sommeil, pourquoi me quitter). 

Jupiter approche et jure à Semele son amour avec lyrisme (Lay your doubts and fears aside – Laisse là doutes et craintes). Semele lui répond par l’aria ornée (With fond desiring – Emue de désirs fous), dont le refrain est chanté par le chœur des Amours et des Zéphyrs. Semele se plaint, et Jupiter la presse d’exprimer les vœux qu’il pourrait satisfaire. Quand elle évoque la différence fondamentale qui les sépare, lui un dieu, et elle une mortelle, il s’inquiète du tour que prennent ses pensées et cherche en hâte à l’en distraire (I must with speed amuse her – Vite il me faut l’amuser). Ils se retirent, et le chœur commente (Now Love, that everlasting boy, invites to revel – Cupidon cet éternel enfant vous invite à goûter). Jupiter revient et annonce son intention d’offrir la compagnie d’Ino à Semele. Il les installera toutes deux en Arcadie. Si cette aria sereine (Where’er you walk – Au moindre de tes pas) a valeur de présage, on peut espérer que les deux sœurs connaîtront la félicité en ce lieu. 

Transportées dans un cadre bucolique, Semele et Ino s’embrassent. Des bergers et bergères se joignent à elles. Les deux sœurs s’assoient et contemplent les jeux champêtres

Ino raconte son voyage, et comprend qu’elle s’est rendue en un lieu saint à la demande expresse de Jupiter (But hark ! the Heavenly sphere turns round – Qu’entends-je ? La céleste sphère tourne). Elle chante un duo avec Semele (Prepare, then, ye immortal choir – chœur immortel prépare-toi), laissant au chœur le soin de conclure (Bless the glad earth with heavenly lays – Offrez vos chants célestes à la terre réjouie).

Acte III

Un grondement de trilles introduit dans la grotte de Somnus. Le Dieu du Sommeil est étendu sur sa couche. On entend une douce symphonie. Puis la musique change de rythme

Junon et d’Iris entrent pour demander à Somnus son aide pour écarter les obstacles accumulés par Jupiter autour de Semele. La lente aria de Somnus (Leave me loathsome light – Quitte-moi, détestable lumière) – pièce d’une grande beauté qui le caractérise parfaitement – se termine par ce vers évocateur : Oh murmur me again to peace – Murmure à nouveau pour me rendre la paix. Junon sait comment le stimuler. En effet, à la seule mention du nom de Pasithéa, il renaît à la vie (More sweet is that name than a soft purling stream – Ce nom m’est plus mélodieux que l’exquis babil du ruisseau). Junon dévoile son plan : Jupiter doit être éloigné de Sémélé par des rêves, les dragons doivent être calmés d’un coup de baguette de plomb, et Ino doit s’endormir afin que Junon prenne sa forme pour apparaître devant Semele. L’amoureux Somnus, à qui elle promet Pasithéa, lui accorde tout ce qu’elle demande dans le duo : Obey my will – Cède à ma volonté)

Sémélé dans ses appartements

Junon, sous l’apparence d’Ino, complimente Semele pour sa beauté et lui demande si Jupiter lui a accordé l’immortalité. Elle présente un miroir magique à Semele, qui s’y contemple avec admiration. Son aria bravura (Myself I shall adore – C’est moi que je vais adorer), avec son effet d’écho, montre comment Haendel savait faire d’une idée frivole un air d’une grâce et d’une beauté suprêmes. Junon conseille à Semele de repousser les faveurs de Jupiter tant qu’il ne lui promettra pas l’immortalité et qu’il n’apparaîtra pas sous sa forme divine, et non en simple mortel comme il l’a fait jusqu’ici. Car Junon sait qu’à la seule vue du dieu, Semele mourra. Celle-ci, crédule, l’embrasse (Thus let my thanks be paid – Ainsi je te rends grâces). Junon, entendant Jupiter approcher, se retire.

Jupiter entre, veut embrasser Semele. Elle le regarde aimablement, mais s’éloigne un peu de lui. Jupiter lui confie que, dans un rêve, elle l’a repoussé. Son aria (Come to my arms, my lovely fair – Viens dans mes bras, ma chère belle) est d’une extrême ardeur. Semele ne faiblit pas et s’en tient à sa résolution (I ever am granting, you always complain – C’est toujours moi qui cède, c’est toujours toi qui te plains). Jupiter lui donne se parole d’accomplir son désir, quel qu’il soit. Elle demande à le voir dans toute sa splendeur divine. Il manifeste sa consternation par des fioritures agitées (Ah, take heed what you press – Ah ! sais-tu bien l’objet de ta prière), mais elle insiste, mettant autant d’emphase dans ses vocalises (No, no, I’ll take no less – Non, non je ne veux rien moins). 

Jupiter, resté seul, déplore dans un récitatif bouleversant les conséquences inévitables de son serment. 

Junon célèbre son triomphe imminent (Above measure is the pleasure – Indicible est le plaisir). 

Semele songeuse, est étendue sous un dais. On entend une « symphonie funèbre ». Semele lève les yeux et voit Jupiter descendant sur un nuage. Des éclairs éclatent de tous côtés et on entend le tonnerre gronder dans l’air.

Semele réalise trop tard que cette vision la brûle mortellement, et expire (Ah me ! too late I now repent – Malheur je me repend trop tard).

Lorsque le nuage où trônait Jupiter arrive juste au-dessus du dais sous lequel Semele se reposait, un éclair fend soudainement le ciel, et le tonnerre se met à gronder. Semele et son palais disparaissent, tandis que Jupiter remonte rapidement au ciel. On voit le mont Cythère se détacher en arrière-plan d’un paysage plaisant.

A la cour de Cadmus, le chœur commente cette histoire d’amour et de mort qu’Ino vient de rapporter (Nature to each allots his proper sphere – A chacun la nature alloue sa propre sphère). Elle révèle aussi que, selon une prophétie, elle doit épouser Athamas. Celui-ci, respectueux des convenances, s’en réjouit (Despair no more shall wound me – Désespoir plus jamais ne pourra me blesser). 

Un nuage éclatant descend et s’arrête sur le Mont Cythère. Le nuage s’ouvre et laisse apparaître Apollon, assis tel un Dieu Prophétique

Apollon déclare qu’un phénix naîtra des cendres de Semele, qui témoignera d’un dieu plus grand que l’Amour et qui empêchera pour toujours les soupirs et les chagrins. Le chœur se réjouit (Happy, happy shall we be – Quel bonheur nous attend).

Les personnages et leurs voix

Les mortels

  • Semele : ou Sémélé en français, fille de Cadmus, promise à Athamas mais éprise et aimée de Jupitervirtuosité et cantabile (soprano)
  • Ino : sœur de Semele, éprise d’Athamas, même chanteuse que Junon (contralto)
  • Cadmus : roi de Thèbes, père de Semele et Ino (basse)
  • Athamas : prince béotien épris de Semele à qui il est promis (contre-ténor)


Les dieux

  • Jupiter : roi des dieux, épris de Semele (ténor)
  • Juno : épouse de Jupiter, furieuse de ses conquêtes même chanteuse qu’Ino (contralto)
  • Iris : sœur de Junon (soprano)
  • Apollo : (ténor)
  • Somnus : dieu du Sommeil (basse)


Discographie

  • John Nelson (dir) : Kathleen Battle (Semele), John Aler (Jupiter) Ambrosian Op. Chorus, English Chamber Orch – 1990 – DG : reste la belle version lyrique de référence, également couronnée par la Tribune des Critiques de Disques de novembre 2023.
  • Christian Curnyn (dir) : Rosemary Joshua (Semele), Richard Croft (Jupiter), Early Opera Company – 2007- Chandos : pour les chanteurs des rôles clés, la direction d’orchestre restant en retrait


Bibliographie

  • Avant-Scène Opéra n°171 : Sémélé Ed. Premières Loges 1996 : livret, commentaire et intéressantes analyses
  • Jean-François Labie : George Frederic Haendel éd Diapason/ Robert Laffont, 1981, 864p : la somme en français ; le livre existe maintenant en version numérique.


Bonne lecture et à bientôt

Jean-François Bourdeaux
Club Opéra Sciences Po Alumni


Crédit photographique : Théâtre des Champs-Élysées

 

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