Prix littéraire des Sciences Po : la sélection finale
Après notre longue liste de douze ouvrages, nous sommes très fiers de vous présenter les cinq romans finalistes du prix littéraire des Sciences Po, ci-après dans l’ordre alphabétique des noms d’auteurs.
Pourquoi cinq romans ?
Deux sont issus du vote des Alumni, que nous avons sollicité début mars : La Manche de Max de Paz (Gallimard) et L’Enclave de Benoît Vitkine (Les Arènes). Vous leur avez attribué le même nombre de voix.
Trois ont été choisis par le jury de présélection composé de huit personnes, Alumni membres du club Littérature et/ou membres de l'équipe de Sciences Po Alumni : Hemley Boum, Le rêve du pêcheur (Gallimard) ; Gwenaëlle Lenoir, Camera obscura (Julliard) ; Gisèle Pineau, La vie privée d'oubli (Philippe Rey). Le jury a lu les ouvrages et bien d’autres de la rentrée littéraire d’hiver, en a débattu et a estimé que, conjointement aux deux ouvrages choisis par les Alumni, ils étaient les plus aptes à nous aider à « comprendre notre temps ».
Un deuxième jury, présidé par Jessica Nelson (promo 2001), écrivaine et cofondatrice des éditions Les Saints Pères, et composé de neuf autres membres issus de Sciences Po et/ou du monde des lettres, choisira le lauréat parmi les quatre titres retenus.
Place à nos finalistes !
Hemley Boum, Le rêve du pêcheur, Gallimard
4e de couv « Dans l’avion qui me menait au loin, j’ai eu le sentiment de respirer à pleins poumons pour la première fois de ma vie et j’en ai pleuré de soulagement. On peut mourir mille morts, un peu à la fois, à essayer de sauver malgré lui l’être aimé. J’avais offert à Dorothée mon corps en bouclier, mon silence complice, le souffle attentif de mes nuits d’enfant et en grandissant l’argent que me rapportaient mes larcins, sans parvenir à l’arrimer à la vie. Je pensais ne jamais la quitter mais lorsque les événements m’y contraignirent, j’hésitai à peine. C’était elle ou moi. » Zack a fui le Cameroun à dix-huit ans, abandonnant sa mère, Dorothée, à son sort et à ses secrets. Devenu psychologue clinicien à Paris, marié et père de famille, il est rattrapé par le passé alors que la vie qu’il s’est construite prend l’eau de toutes parts... À quelques décennies de là, son grand-père Zacharias, pêcheur dans un petit village côtier, voit son mode de vie traditionnel bouleversé par une importante compagnie forestière. Il rêve d’un autre avenir pour les siens… Avec ces deux histoires savamment entrelacées, Hemley Boum signe une fresque puissante et lumineuse qui éclaire à la fois les replis de la conscience et les mystères de la transmission. |
En quoi ce roman nous aide-t-il à comprendre notre temps ?
Roman de l’exil et de la quête de soi, Le rêve du pêcheur affronte la douloureuse question du prix à payer lorsque c’est son histoire qu’on a fui en changeant de continent. Au travers de destins croisés qui couvrent toute l’histoire post-coloniale du Cameroun jusqu’à nos jours, le lecteur vit tout autant les mécanismes de la transmission intergénérationnelle des traumatismes les plus cruels que ceux de la possibilité d’une réparation. Celle-ci n’est possible que si l’exil ne gomme pas le passé, auquel il s’agit de se confronter, voire qu’il faut réapprivoiser.
Max De Paz, La manche, Gallimard
4e de couv « Je le sais, moi, que l’aumône est un tunnel infini, un cycle infernal où la manche d’aujourd’hui cultive celle de demain. Je sais que les pièces achètent notre calme, qu’il n’y a pas de plus grande gamelle à chien docile qu’un petit pot rempli de pièces. Mais il se trouve que je crève la dalle. J’ai faim, j’ai froid, je suis seul ; trio de malheur qui, depuis l’éternité, emporte violemment les sans-abri du monde dans le piège de ce cérémonial, le jeu de la petite monnaie glissant chaque jour de mains propres en mains sales, et lie fatalement le destin de mon cul à celui du trottoir. La manche m’attache au sol, m’installe et me ligote. » Dans le cinquième arrondissement de Paris, un jeune homme nous parle. À seulement vingt ans, il vit à la rue. Sa famille s’est désintégrée après une série de malheurs et, depuis, il tente de survivre avec une bande de compagnons hauts en couleur. Ensemble, ils affrontent le regard des passants : ceux qui font semblant de ne pas les voir, qui ont mauvaise conscience ou témoignent du mépris. Un soir, le narrateur rencontre Élise, une SDF poète à ses heures. Les mots et les poèmes d’Élise éveillent chez lui le besoin de lutter. Il pressent, et il sait, que son monde doit changer. |
En quoi ce roman nous aide-t-il à comprendre notre temps ?
La manche a séduit le jury parce qu’il invite à regarder une population invisible, celle des sans-abri que nous côtoyons pourtant tous les jours dans nos villes. A travers les mots de l’un d’entre eux, le lecteur vit dans leur peau, il souffre du froid, de la faim, de l’humiliation et découvre leur regard sur les autres, ceux qui ont bien chaud, le ventre plein et la conscience presque tranquille. Premier roman très bien écrit avec un style déjà très affirmé, très tendre, fin et drôle, il est dans le ton de La Vie devant soi de Romain Gary.
4e de couv Un matin, un photographe militaire voit arriver, à l’hôpital où il travaille, quatre corps torturés. Puis d’autres, et d’autres encore. Au fil des clichés réglementaires qu’il est chargé de prendre, il observe, caché derrière son appareil photo, son pays s’abîmer dans la terreur. Peu à peu, lui qui n’a jamais remis en cause l’ordre établi se pose des questions. Mais se poser des questions, ce n’est pas prudent. Avec une justesse troublante, ce roman raconte le cheminement saisissant d’un homme qui ose tourner le dos à son éducation et au régime qui a façonné sa vie. De sa discrétion, presque lâche, à sa colère et à son courage insensé, il dit comment il parvient à vaincre la folie qui le menace et à se dresser contre la barbarie. |
En quoi ce roman nous aide-t-il à comprendre notre temps ?
Camera obscura a impressionné le jury par l’intensité et la pudeur avec lesquelles le sujet, extrêmement dérangeant, est traité. Le style est mis au service de l’expression du profond désarroi du photographe face à la guerre civile dans laquelle plonge son pays, la Syrie, qui se communique au lecteur. Il est rare qu'un tel sujet soit abordé d’un point de vue aussi intime, en réussissant à nous enrôler à la fois dans les réactions pétrifiées que la torture suscite, et dans le besoin de témoigner qui finit par l’emporter.
Gisèle Pineau, La vie privée d'oubli, Philippe Rey
4e de couv Margy et Yaëlle vivent en Guadeloupe. Pour ces amies-sœurs, tout se partage depuis l’école maternelle : les premières fois avec des garçons, les épreuves du bac ratées, les danses et sorties la nuit, les rêves d’une vie d’artiste, la violence des hommes et la foi en leur rédemption. Quand, à la demande de son petit ami Benja, Margy avale une trentaine de boulettes de cocaïne et réussit sans accident à débarquer en France, elle en déduit que c’est là de l’argent facile, l’espoir d’un avenir meilleur. Alors pourquoi ne pas enrôler son amie dans le business ? Yaëlle à son tour y voit une échappatoire. Mais en plein vol vers Paris, elle est prise de convulsions : les capsules se rompent, l’une après l’autre, répandant la cargaison dans son corps. D’autres femmes avant elle avaient rejoint Paris : Annette, sa tante, qui a fui très tôt dans l’espoir d’enterrer un secret honteux. Joycy, une jeune Nigériane, échappée des réseaux de prostitution, qui aspire à une seconde chance. Et Maya, étudiante métisse qui cherche à connaître les origines de son père, inconnu au bataillon. Y aurait-il un lien entre tous ces destins ? Roman magistral où se tissent les vies de femmes et d’hommes reliés par un héritage invisible de douleur, La vie privée d’oubli analyse les conséquences des traumatismes des générations précédentes sur les suivantes. En explorant la place de la mémoire intime et celle de la mémoire collective dans le déroulé de nos existences, Gisèle Pineau interroge : comment panser les plaies d’un autre âge ? |
En quoi ce roman nous aide-t-il à comprendre notre temps ?
Grand roman sur la mémoire de l’esclavage et la transmission intergénérationnelle des traumatismes qui en résultent, La vie privée d’oubli retrace la vie de multiples personnages, tous issus d’une esclave au destin tragique, dont l’esprit veille sur sa descendance. De la Guadeloupe à Paris, de Dakar à Panama, les destins de ces descendants sont tous marqués, à leur manière, par la mémoire de l’esclavage, ce qui convainc le lecteur de l’actualité et de la profondeur des traumatismes historiques que sont la traite d’êtres humains, le colonialisme et le néo-colonialisme.
Benoît Vitkine, L’enclave, Les Arènes
4e de couv Dans la chaleur de l’été 1991, tandis que l’URSS s’écroule, un adolescent rentre chez lui. Celui qu’on appelle « le Gris » sort de prison. Alors qu’il longe les eaux froides de la Baltique pour retrouver enfin sa ville natale, Kaliningrad, il découvre un pays et des habitants métamorphosés. Pour lui, tout commence enfin. Roman de la chute de l’empire soviétique, L’Enclave nous emmène sur les chemins de la quête la plus difficile et la plus belle qui soit : la liberté. |
En quoi ce roman nous aide-t-il à comprendre notre temps ?
L’enclave, c’est Kaliningrad, alias Königsberg, où se sont cristallisés les drames du XXème siècle européen. Nous sommes en 1991, l’URSS s’effondre. Un jeune taulard récemment libéré, sans repères éthiques, erre dans un monde lui-même anomique. Il rencontre des personnages qui ne savent pas quoi faire de cette nouvelle « liberté » qu’ils n’ont pas demandée. Cette errance des personnages sur un territoire hors-sol au moment où idéologie et carcan institutionnel s’effondrent, contient en germe la violence de la Russie d’aujourd’hui.
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