Médecine et information : la science et la raison guident leurs pas
La médecine fait souvent l’éloge de la complexité. Elle est une science pas tout à fait exacte, sujette et parfois victime de l’incertitude des diagnostics, de l’hésitation des procédures de soins et de tâtonnements scientifiques et méthodologiques. Mais, en son sein dominent bien l’expérimentation, la rationalité et la raison.
Dans notre monde moderne, la médecine est, cependant, de plus en plus souvent soumise à des vents contraires, bien qu’elle connaisse de remarquables progrès et perfectionne ses traitements et méthodes. Sciences Po et de professionnels associés prennent l’initiative*.
Les professionnels de santé ont du mal à comprendre le fossé qui se creuse entre les scientifiques, d’une part et une société prompte à contester les évidences et à remettre en question les expertises, d’autre part.
La controverse scientifique a toujours existé et est nécessaire. En revanche, aujourd’hui une opposition nouvelle vient aussi de personnes versant dans le complotisme, la « post-vérité », le mensonge, l’affairisme et la manipulation politique.
Et pourtant, dans un monde de communication, les couples scientifiques-journalistes, médecins-communicants devraient, au contraire, se renforcer dans l’intérêt bien compris des parties.
Quand l’évidence scientifique apparaît contestée, comme elle l’est dans certains médias fourvoyés et sur les réseaux sociaux, elle l’est, en fait, par un petit nombre d’individus qu’il convient de repérer, de dénoncer et de neutraliser.
Car les conséquences peuvent être déstabilisantes et graves pour le plus grand nombre, jusqu’à voir s’imposer une irrationalité dangereuse pour nos sociétés démocratiques.
Ce fut le cas récemment durant la crise épidémique. Et cela peut perdurer quand des médecins et des professionnels de santé, mais aussi des acteurs politiques et économiques et des journalistes et divers influenceurs participent à ces entreprises de défiance pour servir leurs intérêts particuliers.
Quand le calme revient, la naïveté ne doit pas à nouveau prévaloir et les institutions de santé qui régulent la complexité doivent s’armer pour mieux informer les soignants, les citoyens et les malades.
La défiance est créée par les réseaux sociaux
Roman Bornstein, directeur des études à la Fondation Jean Jaurès, nous rappelle que « la désinformation marche parce qu’elle s’appuie sur des enjeux puissants qui sont, comme toujours, l’appât du gain financier ou le calcul politique ».
Les agitateurs peuvent, en effet, gagner beaucoup d’argent en vendant des pilules miracles et des produits dérivés de leurs croyances et stratégies de conquête délirantes. Les sites internet et les réseaux sociaux décuplent leurs revenus et leur exposition médiatique.
D’autres deviennent des « anti-vax » par intérêt politique, pour exister médiatiquement, dans « une tentative de survie », poursuit le chercheur. Tels Steve Bannon qui fut aux États-Unis le conseiller de Donald Trump et auteur de la maxime : « flood the zone with shit » ; et Florian Philippot en France, qui fut le plus proche conseiller de Marine Le Pen, avant d’être écartés tous les deux par leurs leaders d’extrême droite en recherche de respectabilité.
Leur stratégie de désordre est revendiquée. Le mécanisme est toujours le même : créer de l’audience pour gagner, à la clé, de l’argent ou de la reconnaissance politique, en trompant des personnes fragiles sur le plan médical - le cancer est une manne - ou psychologique.
Même si ce n’est pas vrai, il faut quand même en parler
Roman Bornstein précise : les fausses informations correspondent à la propre vision du monde de celui ou de celle qui se vit comme la victime d’une élite fantasmée et « du système » honni qui le manipulerait.
Pour les complotistes, les ennemis sont les médias.
La petite minorité qui véhicule la haine en ligne est responsable d’une grande désinformation : 65 % des fausses informations seraient générées par seulement 12 comptes, nous dit l’analyste. Les chaines en continu sont dans une stratégie de survie et animent des débats permanents. Une chaine comme CNEWS, pour exister dans un monde de concurrence effrénée, rejette tout consensus pour renforcer les passions tristes.
Le problème majeur réside dans le modèle économique des plateformes qui est gratuit et qui a donc besoin des datas qu’elles vendent. Il faudrait revoir le modèle car ces plateformes constituent des banques massives de données parfois illégales.
Rester sur son champ d’expertise
« La mauvaise information est dangereuse », nous dit Karine Lacombe, une des médecins les plus exposées par les questions de communication médicale. Pendant le Covid, « Je me suis engagée par opportunité même si j’avais l’habitude de m’exprimer en public. Je connais les processus épidémiques et j’ai dit ce que je savais et ce que la communauté médicale savait ».
Pour sa part, elle a beaucoup discuté avec les journalistes pour savoir ce qu’ils savaient sur la question scientifique. Beaucoup ont essayé de construire leurs connaissances avec des experts dans une course à « l’information flash », alors que l’expertise se construit lentement.
L’infectiologue a compris comment les médias travaillaient et notamment les radios et la presse écrite. Elle prétend avoir construit sa connaissance de l’information ensemble avec eux. Elle dit avoir pris intérêt à cet exercice d’information et qu’elle a reçu beaucoup de questions au travers de très nombreuses lettres. Le médecin est en revanche très critique avec les réseaux sociaux qui sont « les égouts de la société » et qui amplifient des idées minoritaires et non raisonnables.
La question centrale est toujours de gérer l’incertitude : « Il est difficile pour un médecin de rester sur une ligne de crête. Il convient de dire que l’on ne sait pas quand c’est le cas et en même temps de laisser de l’espoir aux gens ».
Elle veut rester sur ses sujets d‘expertise et, grâce à cela, elle dit avoir été très soutenue par son université et par l’hôpital qui sont ses institutions de référence.
Karine Lacombe, pour son engagement d’informer a été agressée dans la rue mais aussi psychiquement. « Et ça a pu être assez dur ». Mais elle pense avoir fait œuvre utile en faisant passer des informations précises et utiles et d’avoir « rassurer sans faire croire à des miracles ».
Il faut une presse libre mais qui ait des comportements éthiques
Pour Jean-François Delfraissy, il y a bien eu avec le Covid une victoire de la science avec les vaccins, l’exploitation des données de la science, la connaissance des virus. Mais cette réalité n’est pas vécue comme cela, ce qui fait que la science sort perturbée de cette épreuve. L’Italie, par exemple, reste marquée profondément par cette crise sanitaire qui fut majeure pour elle. Et l’ensemble de la communauté médicale s’interroge encore sur la surmortalité engendrée et ses conséquences politiques et sociales.
Il convient de dire cependant que la population, dans son ensemble, a confiance dans la science. Mais il faut améliorer l’information des populations au-delà du petit monde des anti-vaccins qui sont rétifs par nature et par idéologie.
Selon lui, les médias ont joué un grand rôle en début février-mars 2020, au début de la crise. Mais l’arrivée des variants a été difficile à expliquer. Dans un deuxième temps, après mai 2020, la communication a été moins scientifique et médicale et a pris une dimension politique qui a entrainé des dérapages. Le commentaire politique a remplacé l’information. Pour l’ancien président du Comité scientifique, l’ARCOM « n’a pas fait son job » et aurait dû appeler les chaînes d’information à plus de rigueur.
Apprendre à communiquer
Les responsables d’institutions reconnaissent qu’il leur faut répondre aux questionnements de la société même quand l’incertitude domine.
Mais comment transmettre la science aux publics, à la société, aux médecins ?
Il y a, en effet, pour Didier Samuel, président directeur général de l’INSERM, une déconnexion entre le grand public et les mécanismes de la recherche scientifique qui créent le progrès médical : « nos institutions scientifiques doivent être capables de réagir ». L’INSERM a ainsi créé « Canal Detox » et a élaboré une charte pour contrecarrer les opinions fausses scientifiquement, conseiller aux scientifiques de parler sur les sujets qu’ils connaissent et demander aux experts de garder la mesure quand on évoque les découvertes médicales.
L’Inserm a aussi des ambassadeurs pour accompagner ses messages. L’institution scientifique produit en routine des publications scientifiques et tente d’être réactive en étant un intermédiaire de confiance et en ayant des coopérations avec les plateformes. Communiquer et apprendre à communiquer est un enjeu majeur « même si on ne sait pas », nous dit le scientifique. « Au début de la crise du Covid, il y avait un océan de questions sans réponses », ce que confirme Jean-François Delfraissy qui rappelle que « la science se fait en marchant » et que les sciences sociales doivent participer à cette tentative d‘explication.
Changer les comportements et renforcer l’expertise
Catherine Semaille, à la tête de santé Publique France, une agence scientifique et d‘expertise engagée dans la communication et l’information en santé s’interroge sur la manière de changer les comportements. Elle développe de nombreux sites, produit de la connaissance et pilote de grandes campagnes de communication et de marketing social. Elle rappelle que Santé Publique France est aussi une agence de l’État qui n’a pas toute liberté puisqu’elle engage les politiques de l’État et du gouvernement.
La présidente Catherine Barthélémy présente l’Académie de médecine comme une compagnie indépendante de médecins qui tente de donner un éclairage sur les maladies.
Pour le Covid, 15 experts se sont engagés avec d’autres experts pour proposer une plateforme de communication rapide. Plus d’une cinquantaine de rapports ont été produits durant la crise épidémique. Les contributions ont été apportées sur la base de la journée et au maximum de la semaine. Son rôle de décryptage des situations sanitaires est important, mais il faut bien aussi construire des relations de qualité entre les médecins et les malades. Ce qui est à la clé de la communication et de la bonne information en santé.
Dénoncer les dérives sectaires ; prôner une médecine fondée sur les preuves
Marcel Mourgues, vice-président du Conseil de l’Ordre des médecins revient sur la défiance et l’insatisfaction des populations et même des médecins dans des systèmes de santé en tension, comme l’est le nôtre.
L’éducation à la santé est primordiale pour le représentant de l’Ordre des médecins. Car nous vivons dans une société de défiance, et les citoyens ont reproché aux médecins et à l’État de ne pas avoir prévu ou bien organisé la crise. La gestion des masques est devenue « l’affaire des masques » et le manque de souveraineté médicamenteuse est encore cruellement ressenti.
Les mauvais comportements des médias et des réseaux sociaux sont bien connus et il est difficile de combattre les dérives sectaires car on se fait, irrémédiablement et injustement, accuser d’atteinte aux libertés. Le médecin rappelle qu’une centaine de médecins ont été signalés pour mauvais comportement d’information lors de la crise du Covid.
Pour Jean Lessi, directeur général de la Haute autorité de santé, la mission de la HAS est de recommander des bonnes pratiques de soin.
Il est toujours assez compliqué d’analyser l’efficacité des médicaments et des produits disponibles. En tout cas, émettre des réponses rapides est un enjeu considérable. Mais « la guerre doit se préparer en temps de paix » et il nous faut parler en responsabilité. Juger un « nouveau médicament miracle » nécessite du temps et a obligé de s’adapter. Une institution doit dire la réalité et donner le niveau de preuve. Jean Lessi prône une pédagogie de la santé publique du quotidien et l’expert médical et scientifique doit agir en responsabilité. A méditer pour la prochaine épreuve.
Parce que la crise du Covid a été révélatrice de l’importance de la bonne information, la vulgarisation de la science, la présentation et la compréhension des travaux de la recherche médicale et aussi la violence des crises sanitaires diverses nous incitent à améliorer les relations de travail qui existent entre les médias, les scientifiques, les médecins et les citoyens.
La santé publique doit bénéficier d’une couverture médiatique, nécessaire et essentielle dans nos démocraties. Elle est dépendante d’une juste information et d’une bonne connaissance des modes de fonctionnement respectifs des différents acteurs.
Aussi, Il nous faut collectivement réfléchir à ce qui ne fonctionne pas et aux meilleures manières de contribuer aux échanges et pratiques entre les professionnels de santé et les acteurs des divers médias.
Il s’agit de voir comment, de manière consensuelle et utile, nous pouvons prolonger nos réflexions et échanger de manière régulière afin de construire, ensemble, des relations de confiance. Sans toutefois empiéter sur le travail, les responsabilités et les objectifs de chacun ».
Pascal Maurel
*D’après les travaux collectifs menés au cours des « Happy Hour » du groupe santé de Sciences po Alumni, Paris 2 mai 2023 et 22 Avril 2024
Commentaires0
Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.
Articles suggérés