L’information en santé est une victime collatérale de la crise du Covid.
Mais, depuis plusieurs années, les médias traditionnels (presse, radio, télévision), internet et les réseaux sociaux participent aussi souvent à l’aggravation des crises médicales par la diffusion inappropriée de messages pourtant essentiels à la santé publique.
La crise du Covid est révélatrice de l’importance de la bonne information qui a pourtant été bien malmenée pendant de longs mois.
La vulgarisation de la science, la présentation et la compréhension des travaux de la recherche médicale et aussi la violence des crises épidémiques nous incitent à analyser les relations complexes qui existent entre les médias, les scientifiques, les médecins et les citoyens.
Pendant la crise sanitaire des années 2020, la médecine a bénéficié d’une couverture médiatique inédite. Plus de la moitié des journaux télévisés ont été consacrés à la pandémie de Covid-19 pendant six mois en 2020. La crise a mis en exergue l’importance des sujets de santé publique mais aussi les dysfonctionnements entre les médias et les chercheurs.
En effet, en temps de crise, le temps de la recherche - long - se retrouve en opposition avec le fonctionnement des rédactions et avec le temps de la prise de décision qui doit, lui, être rapide.
Dissonance
Tous les acteurs ont vécu cette dissonance et l’incertitude que cela a pu générer. La population a pu entendre des informations contradictoires et a vu fleurir sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision de nouveaux experts en santé relayant des mauvaises ou imprécises informations.
Certains intervenants n’étaient pas compétents parce qu’ils n’étaient pas spécialistes du sujet, d’autres l’étaient mais se sont montrés imprudents et de dangereux commentateurs souvent par orgueil et parce qu’attirés par la lumière des médias.
Si la vulgarisation en santé n’est pas récente car les chercheurs ont toujours tenté de faire comprendre leurs travaux, la récente crise sanitaire a montré des dérives inacceptables qui obligent les professionnels de la science et de l’information à tenter de mieux travailler ensemble. Cette crise a montré qu’il existait de grandes faiblesses dans les deux secteurs que l’on doit analyser et corriger. En espérant que l’on peut « se préparer à l’arrivée d’autres crises en évitant les erreurs qui ont pu être commises », comme l’espère Pascal Maurel.
Qui est expert ?
Rappelons d’abord que, sous le prisme juridique, les médecins et les journalistes exercent deux fonctions dirigées par une éthique déontologique. Les médecins sont libres dans leurs analyses mais le code de déontologie médicale encadre leurs propos.
Selon Christophe Courage, l’article 13 du code dispose que : « lorsque le médecin participe à une action d'information du public à caractère éducatif, scientifique ou sanitaire, quel qu'en soit le moyen de diffusion, il ne fait état que de données confirmées, fait preuve de prudence et a le souci des répercussions de ses propos auprès du public ». Cet article est essentiel lorsqu’on regarde le nombre d’experts qui fleurissent dans les médias et plus spécifiquement sur les réseaux sociaux. « La question de la vulgarisation a donc un corollaire, celui de la pédagogie, pour que le discours soit à la portée de celui qui l’écoute. Il y a donc une question de légitimité : Qui peut porter ce discours ? Qui peut être considéré comme expert ? ».
L’incertitude
L’ensemble des professionnels, qu’ils soient dans les médias ou dans la santé, ont tout d’abord noté que l’information en temps de crise n’est pas la même que celle développée « en temps de paix », du fait de l’incertitude. Elle est très complexe à gérer et il y a toujours « une incertitude de la science vis-à-vis d’un phénomène nouveau ».
Parfois, ce sont mêmes les scientifiques, comme le dit Anne-Claude Crémieux, qui vont proposer une grille de lecture erronée parce qu’eux-mêmes vont s’appuyer sur des travaux qui ne sont pas valables pour le phénomène en cours. La France et le Royaume-Uni en sont l’exemple. Neil Ferguson, épidémiologiste britannique, a proposé une stratégie d’atténuation qui s’appliquait à la gestion de la grippe et non au coronavirus.
Comprendre
En effet, il faut se mettre en situation de celui ou celle qui reçoit l’information et de l’impact au niveau du processus décisionnel dû aux biais cognitifs.
Face à une crise, comme celle du coronavirus, on vit « une agression » par un agent extérieur. Notre système de traitement de l’information ne réagit plus de la même manière. On se raccroche naturellement à des certitudes. C’est ce qu’on appelle le biais de confirmation. C’est un biais qui existe quand on pense quelque chose intimement. La personne va aller chercher des informations qui permettent de conforter ses convictions intimes. Myriam Edjlali-Goujon s’appuie sur :
- La théorie de l’attribution : on a l’impression d’avoir déjà vécu la même chose, donc le nouvel évènement doit se passer de la même manière. Cela empêche la remise en question.
- La dissonance cognitive : elle s’appuie sur nos croyances. On va rejeter ce qui ne nous correspond pas.
- Le biais de mémoire : notre cerveau fait un tri et empêche de faire une analyse de la situation.
En temps de crise, l’information est différente
La particularité de la crise du coronavirus est que, pour la première fois, des publications ont été publiées et commentées avant qu’elles aient fait l’objet de relecture.
Selon Alexandra Delbot, « il fallait traiter toutes les publications qui sortaient, mêmes celles qui étaient en prépublication. Chose qui ne se fait pas en temps normal, afin de pouvoir les décrypter ». C’est d’ailleurs, la première fois qu’elle a traité autant d’informations en aussi peu de temps, avec une incertitude à gérer qui est complexe.
Elle souligne le corollaire à cette circulation de l’information et cette incertitude : reconnaitre qu’on ne sait pas. Elle note que c’est le plus complexe à gérer. Il est difficile de dire à des auditeurs qu’on ne sait pas mais qu’il existe des faisceaux d’indices qui permettent de converger vers telle ou telle information.
Cristallisation des débats
Michel Bourrelly note cependant que ce n’est pas la première fois que l’on assiste à une telle médiatisation d’une crise épidémique.
Le sida a aussi fait l’objet d’une très forte couverture médiatique, avec des « montagnes russes en termes d’information. Aucune précaution n’était prise par les scientifiques et les médias sur l’efficacité d’un potentiel traitement et l’impact que cela avait sur les communautés ». Il a vécu la lutte contre le sida et la crise du coronavirus à Marseille, qui, pense-t-il, est un lieu de cristallisation du débat public. Pour lui, le plus insupportable dans ces moments-là « c’est la certitude et l’impossible contradiction ». Ses propos mettent en lumière une question primordiale : faut-il tout publier et commenter durant les périodes de crise ?
Anne-Claude Crémieux part du postulat que « people are smart ». Il faut apporter l’information dans toute sa complexité et ne pas annuler les éléments inquiétants en pensant que le public n’est pas capable de faire face à l’incertitude et à l’inquiétude.
Au contraire, Alexandre Delbot estime qu’il y a peut-être eu trop d’informations et que tout n’aurait pas dû être diffusé pour que l’information reste intelligible auprès du public.
Comment rendre l’information intelligible auprès du public ?
Il est nécessaire d’être entouré du bon réseau et des bons experts pour rendre l’information intelligible et claire. Camille de Froment indique que Le Magazine de la santé a vocation à vulgariser et illustrer les sujets de santé, en partant du postulat que le public peut comprendre si on lui explique. C’est ce que la rédaction a fait durant la crise du covid. Les journalistes sont allés sur le terrain pour donner la parole aux soignants et aux patients, ils ont décrypté des études scientifiques. Cette émission a aussi la particularité d’être animée par des médecins avec un public qui est modérateur car il peut poser des questions durant l’émission. Elle ajoute enfin que lorsque la crise du Covid est apparue, la rédaction était préparée par rapport à d’autres médias - même si des erreurs ont pu être dites - car elle avait déjà le bon réseau d’intervenants et d’experts.
Compétences et expertises
Frédérique Prabonnaud ajoute qu’il est important que les rédactions soient composées de journalistes spécialistes des sujets de santé. Actuellement, les rédactions ont majoritairement des journalistes généralistes, des « couteaux suisses ». Or ces journalistes n’ont pas forcément les bons contacts et le recul nécessaire en cas de traitement de sujets spécifiques comme ce le fut lors de la crise du covid.
On a d’ailleurs vu fleurir, sur les plateaux télévisés, de nouveaux experts, que ce soit du côté des journalistes que des professionnels de santé, qui n’avaient pas forcément les compétences pour traiter le sujet. C’est ce couple qui est diabolique, car aucune précaution n’était prise, ni dans les questions, ni dans les réponses. C’est pour se prémunir contre ce couple diabolique que le Magazine de la Santé a partagé ses contacts avec d’autres rédactions lors de la crise du covid, indique Camille de Froment.
Concernant les chaînes d’informations en continu, cela est encore plus compliqué car elles sont très énergivores. Solenne le Hen (journaliste santé, France Info) explique qu’elle est la seule de la rédaction à être spécialiste des sujets de santé. Or il est impossible qu’elle soit disponible 24/24 : « il y a donc eu des loupées mais cela nous a permis d’évoluer ».
Il apparaît donc important que les rédactions dotées d’experts des sujets de santé partagent les contacts et informations avec leurs collègues généralistes.
Éthique de responsabilité
Michel Bourrelly raconte avoir vu des affrontements violents entre les pro-Raoult et les professionnels qui remettaient en cause les recherches sur l’hydroxychloroquine.
Dans ce climat de tension et d’incertitude, les professionnels de santé ont géré des situations compliquées. Notamment des patients violents sous l’emprise de croyances irrationnelles, comme en témoigne Jeanne Goupil qui a tenu un journal de bord qu’elle a partagé pendant la crise du covid. Elle raconte s’être retrouvée face à des familles de patients qui croyaient aux vertus de l’hydroxychloroquine et pour qui le rationnel avait disparu. Il est important de soulever cette place du rationnel car le complotisme remplit ce besoin de croire.
Cela pose les questions suivantes :
- Comment délivrer l’information à des personnes qui n’ont pas les moyens d’y accéder ?
- Comment rendre accessible le raisonnement ?
Les professionnels n’ont pas fait assez de « allez vers » et les réseaux sociaux ont comblé ce manque.
Sécuriser l’information
Sophie Beaupère se rappelle que rien n’était stable pendant la crise du covid, mais les centres de lutte contre le cancer ont essayé d’anticiper au maximum les demandes d’informations des patients. Elle souligne que la population est très en attente de pouvoir comprendre rapidement une information complexe. Le travail des professionnels est donc de rendre cette information accessible et intelligible. Or, elle pense que ce n’est pas encore le cas : ce rôle de relai d’informations n’est pas encore rempli notamment par le service public, alors qu’il serait possible de développer des portails publics d’information.
De son côté, Unicancer développe des outils digitaux à destination des patients avec des référents qui répondent à leurs questions. L’enjeu est de sécuriser cette information. Il faut créer de l’envie mais aussi sécuriser car c’est une information qui peut créer du profit.
Modération
Pour Philippe Leduc, il faut réfléchir à ce qui ne fonctionne pas et à la notion de contrôle, notamment sur les réseaux sociaux, et à un renforcement des sanctions judiciaires. Depuis la crise du covid, plusieurs livres défendant des thèses antivaccins sont publiés et font l’objet de promotion sans que personne ne dise rien. Pourtant, en son sens, pour valider des publications scientifiques, il faut quelqu’un qui contrôle et qui modère, pour éviter des dérives. Qui contrôle en France ce qui est publié en matière de santé publique dans les médias et sur les réseaux sociaux ? La HAS ? L’académie de médecine ? Pour l’instant, il ne sait pas. Pour un tel débat, il souligne l’importance d’avoir la représentation de tous les médias.
Réfléchir ensemble
Pour Nicolas Merlet, c’est aussi une question de responsabilité. L’information et la santé ne sont pas un couple diabolique au départ. C’est la manière dont on utilise l’information qui peut devenir diabolique. Il rappelle que l’information « est un ensemble de maillons, qui passe de main en main ». Chaque personne qui relaie une information a une responsabilité mais aussi un objectif et peut donc segmenter et tordre cette information selon son but personnel. Certains vont servir leur égo, d’autre l’intérêt général. Chacun va donc amener un biais supplémentaire. La question est donc : qui doit dire cette information, qui est responsable ?
Le problème est qu’il n’y a pour l’instant pas de réflexion sur cette responsabilité.
Liliana Eskenazy (avocate), ajoute qu’il faut aussi réfléchir à la grille juridique de la liberté d’expression en matière de santé publique car ce n’est pas un droit absolu.
Il existe des limites et c’est un débat qui relève de l’intérêt général. Qu’est-il permis de communiquer en cas d’incertitudes scientifiques ? Il faut se pencher sur la jurisprudence.
Les scientifiques doivent s’appuyer sur « une base factuelle suffisante », et la communication relayée dans les médias doit être « mesurée ».
Le journaliste scientifique Alain Perez et le médecin et rédacteur scientifique Hervé Maisonneuve rappellent que si la science a toujours progressé, il y a toujours eu des idéologies qui ont paralysé le système. On a encore du mal à gérer ce problème et à choisir entre deux thèses. On doit mieux définir le rôle des sociétés savantes et des grandes institutions de santé sur ce sujet de l’information qui n’a malheureusement pas été bien traité.
« Il s’agit de voir comment, de manière consensuelle et utile, nous pouvons prolonger nos réflexions et échanger de manière régulière afin de construire, ensemble, des relations de confiances. Sans toutefois empiéter sur le travail, les responsabilités et les objectifs de chacun ».
La rencontre traditionnelle du Groupe Santé des Sciences Po alumni (Happy Hour du 21 mars 2023) a permis aux professionnels de santé et ceux des médias d’échanger sur la manière dont est traitée l’information en santé.
Avec :
- Sophie BEAUPÈRE, déléguée générale d’Unicancer
- Michel BOURRELLY, pharmacien, Moniteur d’Études en Sciences Sociales ANRS/SESSTIM
- Anne-Claude CREMIEUX, infectiologue et universitaire
- Alexandra DELBOT, journaliste scientifique chez France Culture, productrice du « Journal des sciences »
- Myriam EDJLALI-GOUJON, radiologue, APHP
- Camille DE FROMENT, rédactrice en chef du « Magazine de la Santé », France 5
- Jeanne GOUPIL, infectiologue, praticien hospitalier à hôpital Jean-Verdier
- Solenne le Hen (journaliste santé, France Info)
- Philippe LEDUC, médecin et journaliste, Les Échos
- Hervé MAISONNEUVE, médecin et animateur du blog Rédaction Médicale et Scientifique
- Nicolas MERLET, Conseiller en communication santé, agence Ortus
- Frédérique PRABONNEAUD, journaliste santé, France 2
- Alain PEREZ, journaliste santé, Les Échos
- Animation par Christophe COURAGE, avocat associé, praticien du droit public et du droit de la santé, membre du bureau du groupe santé de Sciences Po Alumni membre du Groupe Santé de Sciences Po alumni et Pascal MAUREL, journaliste médical, directeur de l’UC2m (Université du changement en médecine), président du Groupe Santé de Sciences Po alumni
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